La nuit myope

Il y a quelques mois, Philippe Vilgier trouvait dans l’élection présidentielle prétexte à saluer « le cher et talentueux ADG ». L’inclassable Jérôme Leroy, à qui La Table Ronde vient de confier une collection de romans noirs, nous donne l’occasion de bisser. Il est allé chercher un titre méconnu d’ADG, sinon totalement oublié. Communiste hétérodoxe, assez libre pour glisser sa signature dans les pages de Causeur et assez fidèle pour ne jamais avoir renié ses « potes roycos », Leroy a ramené de ses lectures braconnières un ADG où il ne se passe rien mais où point à chaque page la nostalgie du « monde d’avant ». La Nuit myope avait été publié entre Pour venger pépère et On n’est pas des chiens. Un roman noir sans macchabée, témoignage d’une époque, reportage dans le Paris de 1980, Giscard régnant. Voici une banale scène de PMU, élevée au tableau de maître par Alain Camille Fournier : « Derrière le comptoir, un farouche Lozérien dont le visage sombre ne s’éclairait qu’à la vue d’un billet montait une garde pawnee devant les croissants. Deux plâtriers (casaque blanche, toque d’albâtre) compostaient des rêves chevalins et dans un recoin, un vieil épouvantail de race femelle noircissait des pages de cahier qui ne lui avaient rien fait (était-ce Rochefort, Duras ou Sarraute ? Peu importe l’épouvantail…) ». Ce roman sans intrigue, « tendre, élégant, poétique » comme le décrit Leroy rappelle quelques gaillards de la même trempe. Boudard, Alphonse. Audiard, Michel. A ceux qui ont l’appétit vorace et à qui La Nuit myope pourrait se révéler un met léger, conseillons-leur de lire – ou relire – Le Banquet des léopards, du premier, et La Nuit, le jour et toutes les autres nuits, du second. Dernière prescription : un ADG se déguste confortablement installé et verre en main, avec un petit Cour-Cheverny par exemple, Sologne oblige.

 

  • La Nuit myope, par ADG, éditions de La Table Ronde, 112 pages, 5,90 euros.

 

Pierre Saint-Servant – Présent

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