Plus ça va, moins ça va ; si ça continue, il faudra que ça cesse : bienvenue dans un monde de dingues. Car c’est à Grignols, petite village de Dordogne, proche de Périgueux, qu’un brave couple de Grignolais – ou de Grignolois ? – vient d’être condamné pour une histoire de mare, de grenouilles et de saison des amours.
Eh oui, vers la mi-juin, les demoiselles grenouillettes ont la culotte chauffée à ébullition, tandis que ces messieurs les grenouillots ont les patates au fond du sac. La Rabette, petite rivière coulant le long de mon jardin, en a encore les oreilles qui bourdonnent et, comme le disait jadis mon fils : « Je comprends le concept et tout le monde a bien le droit de chercher l’âme sœur ; mais là, ça serait tout de même le temps de conclure… » Il est un fait que, lorsque le grenouillot entend mettre la grenouillette les gambettes en arrière, genoux aux oreilles, il a envie que cela se sache ; vantard, va…
Bref, l’affaire est actuellement entre les mains de la justice. Et la mare incriminée, carte du Tendre d’un printemps, même transformée en bobinard à ciel ouvert, devrait être tôt comblée – elle au moins, serions-nous tentés d’ajouter.
Il est, ainsi, des faits divers qui en disent parfois plus long sur l’état de notre société que bien de savants discours. En plus de vingt ans de cambrousse, l’histoire se répète. Au loin de ma rue, il y avait jadis un coq. Les voisins se plaignaient ; il paraît qu’il chantait… La bête en question devait avoir quelques ascendances corses ou antillaises, sachant que son fier cocorico n’advenait que sur le coup des neuf heures du matin. À croire que son maître le réveillait afin qu’il puisse, à son tour, réveiller le voisinage, lequel voisinage, tout juste débarqué de Paris, votant écolo tout en roulant en 4×4, fit le siège du maire afin qu’on torde le cou à la bestiole, pourtant emblème national. Ce sont, évidemment, les mêmes qui gueulaient comme des putois de bas étage à cause du crottin de cheval abandonné sur nos chemins.
Eh oui, mon cher Hurepoix, tout le monde grimpe à cheval, grands et petits, riches comme pauvres. Il paraît que le crottin, c’est dégueulasse. « Non ! Bougres d’andouilles ! avait beau rétorquer notre brave édile, c’est excellent pour les rosiers… » Les chevaux ne furent pas interdits, mais de peu. Soit le temps de persuader les fâcheux que des feuilles mortes en automne, c’était un peu de saison, telle neige en hiver.
Le summum fut atteint avec le cochon. Au haras d’à côté, il y avait un cochon. Un gros, un énorme cochon, qui avait l’habitude de baguenauder alentour. Cochon qui était chez nous mieux que chez lui, ayant l’habitude de faire la sieste sur le bitume, en plein tournant d’une jolie petite route sortie d’un livre de Jean Giono. Tous les gens du coin le savaient, et comme ils le connaissaient, on ne prenait pas ce tournant à plus de deux à l’heure. Avec mes enfants, on prenait toujours le temps de s’arrêter, bagnole à moitié garée dans le fossé, juste histoire de lui gratter gentiment la couenne ; en retour, il nous gratifiait d’une léchouille, administrée d’une langue au moins aussi épaisse que trois steaks et demi.
Ce cochon, on ne connaissait pas son nom. On l’appelait juste le cochon. Il n’avait, certes, pas inventé le bidon de deux litres, mais les enfants l’aimaient bien. Et puis, un jour, plus de cochon… Les voisins s’étaient plaints. Il paraît qu’il était sale et faisait du bruit. On dut l’enfermer. Il est mort quelques semaines plus tard, devenu étranger en son propre pays, en sa propre campagne.
Ainsi va la vie. Il y a longtemps que, dans ma chère Rabette, je n’entends plus les grenouillots emmener Popaul au cirque dans les grenouillettes. Plaintes d’acariâtres voisins ? Même pas. À croire qu’elles n’ont plus goût à rien. Enfin, c’est ce que prétend mon chat.
Nicolas Gauthier – Boulevard Voltaire