Voilà bien un fan de foot que l’on n’attendait pas : le cardinal Joseph Ratzinger ! À la veille du Mondial 2014 au Brésil, c’est le moment ou jamais de relire cette réflexion de 1985 sur le football, parue dans son livre « La gloire de Dieu ». Un ouvrage écrit avant la Coupe du monde de football de 1985 au Mexique, et qui débute par une question élémentaire autant que profonde : pourquoi ce sport parvient-il à électriser autant de gens ? Voici quelques-unes de ses réponses les plus percutantes.D’où vient cette fascination pour le football ?
Dans cette Rome antique, le mot d’ordre des masses était panem et circenses, du pain et du cirque. Du pain et des jeux constitueraient donc le mot d’ordre vital propre à toute société décadente qui ignore tout autre but dans la vie. Mais même si l’on accepte l’explication, elle n’est pas complètement satisfaisante. Il faudrait également se demander d’où vient cette fascination pour un jeu qui va jusqu’à revêtir la même importance que le pain ? Pour ce qui est de la Rome antique, on pourrait répondre que la demande ‘du pain et des jeux’ n’est rien d’autre que l’expression d’une vie paradisiaque, une exigence d’une vie de satiété sans effort, d’une liberté accomplie.
Car c’est bel et bien ce qu’on entend par le jeu : un acte de liberté totale, qui ne poursuit aucun objectif, ne répond à aucune nécessité, engage et mobilise néanmoins toutes les forces de l’homme. En ce sens, le jeu serait alors une sorte de tentative de réintégrer le paradis: de s’évader des contraintes du quotidien et de la nécessité de gagner son pain, pour accéder à ce qui n’est pas obligatoire et donc qui est beau. Le jeu unit
Le jeu dépasse donc la vie quotidienne. C’est aussi un exercice d’apprentissage de la vie, surtout chez l’enfant. Il symbolise la vie elle-même et l’anticipe en quelque sorte à travers une forme librement structurée. Il me semble que la fascination exercée par le football réside pour l’essentiel dans le fait qu’il relie ces deux aspects d’une manière très convaincante. Il oblige l’homme à s’imposer une discipline qui lui fait acquérir une maîtrise de soi par l’entraînement; et, avec cette maîtrise, une supériorité et, avec la supériorité, la liberté. Le jeu lui enseigne aussi une entente collective disciplinée: le jeu d’équipe oblige à fondre l’individualité dans le tout, l’équipe. Elle unit les joueurs dans un objectif commun; le succès et l’échec de chacun résultent du succès et de l’échec du groupe.Risque d’un esprit affairiste
En outre, le jeu enseigne le fair-play, où la règle commune, à laquelle chacun est soumis, reste l’élément qui lie et unit dans l’opposition. Enfin, la liberté du jeu, si celui-ci se déroule de façon correcte, permet de dissiper la gravité du jeu entre concurrents. En y assistant, les spectateurs s’identifient au jeu et aux joueurs. Et participent donc personnellement à l’entente et à la rivalité, à la gravité et à la liberté. Les joueurs deviennent alors pour les spectateurs un symbole de leur vie, avec un effet en retour : ils savent que ceux-ci les représentent et se sentent confortés. Naturellement, tout ceci peut facilement être corrompu par l’esprit affairiste qui soumet le sport à la dure loi de l’argent, en fait une industrie et le transforme en un monde illusoire aux dimensions effrayantes.
Liberté et discipline
Mais ce monde illusoire ne pourrait exister s’il n’y avait pas un aspect positif à la base du jeu: l’apprentissage de la vie et le dépassement de la vie vers le paradis perdu. Dans les deux cas, il s’agit de chercher une discipline de liberté, de s’entraîner à l’entente, à la rivalité, tout en se soumettant à la règle.
Dépasser le divertissement
Nous pourrions nous inspirer de cette réflexion pour réapprendre du jeu à vivre, car il révèle à l’évidence quelque chose de fondamental: l’homme ne vit pas seulement de pain. Le monde du pain n’est jamais que l’étape préliminaire à la véritable humanité, au monde de la liberté. Mais la liberté se nourrit de la règle et de la discipline qui permettent l’entente et le fair-play, et d’apprendre à agir indépendamment du succès obtenu, en renonçant à l’arbitraire pour devenir vraiment libre. Le jeu, une vie ? Si nous approfondissons la question, le phénomène de l’engouement pour le football pourrait nous apporter davantage qu’une simple distraction.
Article traduit de l’édition italienne d ‘Aleteia par Elisabeth de Lavigne