Paul Guth, cet écrivain tellement français! (Vidéo)

 

« Métis d’Alsaciens, de Gascons, de Bigourdans », né dans les Hautes-Pyrénées de parents modestes, Paul Guth, prix d’Excellence à Louis-le-Grand, professeur de lettres à Janson-de-Sailly, chroniqueur littéraire éblouissant, connu aussi, à partir des années cinquante, avec sa série du Naïf, d’importants succès de librairie : Mémoires d’un Naïf, Le Naïf sous les drapeaux, Le Naïf aux quarante enfants…

Pourtant cet auteur est aujourd’hui presque oublié. Bien trop français pour notre intelligentsia cosmopolite, adepte du multiculturalisme, d’expériences éducatives ludiques et de romans trash. Ses écrits polémiques, pourtant si pertinents et si drôles, contre les dérives et les déboires de l’enseignement public en France (qui commencèrent un an avant Mai 68 et s’accélèrent ensuite), ses traits acerbes si bien ajustés contre les mandarins marxisants ou marxolâtres du système universitaires et la jobardise des « enseignangnants », le rejetèrent définitivement dans le camp honni (par l’idéologie dominante) des « réactionnaires ». Durant les années quatre-vingt, Paul Guth accorda d’ailleurs deux interviews à Présent,ce qui tendrait à confirmer ses tendances réacs.

Sa volumineuse Histoire de la littérature française constitue, pour tout amoureux des lettres, un enchantement. Elle a une qualité quasiment unique : celle de faire aimer à tout le monde, même aux profanes, les chefs-d’œuvre de notre langue, connus ou inconnus. Paul Guth promène ses lecteurs dans une sorte de jardin des délices où sans le moindre didactisme, loin des élucubrations et ratiocinations des cuistres sorbonnards, ce virtuose du vocabulaire dresse en toute simplicité et dans une constante bonne humeur des portraits « savoureux et pétillants », souvent originaux et pittoresques, de nos grands écrivains. Instruire ses lecteurs tout en les divertissant, tel était le don, devenu très rare, de cet érudit malicieux. André Giovanni, dont il fut le collaborateur, avait rendu à « son ami Paul » un hommage chaleureux et vivant, qui nous donne aujourd’hui l’envie de redécouvrir et de relire cet écrivain injustement oublié, voire décrié, parce que trop français. Trop solidement enraciné dans le terreau et l’histoire de son pays. La prose de Paul Guth a un goût de la terre de France, qui dérange les palais aseptisés ou corrompus de nos intellectuels apatrides.

Un bon, grand médecin nous a quittés. Non, il n’était pas de l’Académie de médecine, ni membre de l’Ordre des médecins. Pourtant, ses connaissances, sa verve, sa bonne santé auraient été fort appréciées au sein de ces doctes assemblées.

Il n’était pas non plus de l’Académie française. Quel dommage ! Cela pourrait être un motif de repentance pour ces messieurs et dames en habit vert. En 1987, après l’échec de sa candidature à cette prestigieuse institution, le célèbre Naïf, sans barguigner, avait envoyé aux quarante académiciens un fameux coup de patte sous ce titre désopilant : Discours de déception à l’Académie française.

Paul Guth – vous l’aviez reconnu –, professeur émérite mais toujours fringant, se payait la fantaisie, avec cette nasarde, de leur tirer la langue comme l’aurait fait un insupportable collégien. Mais, vox populi, vox Dei, la société anonyme des gens de goût et le bon peuple de ses innombrables lecteurs l’avaient déjà spontanément décoré de ces lauriers éternels qui sont décernés sur les bords de la Seine, quai Conti. Dès le début de sa carrière d’écrivain, Paul Guth, inspiré par quelque prémonition, avait baptisé ses premières critiques : Quarante contre un. Dans la foulée il publiait un roman : Les sept trompettes qui inaugurèrent en fanfare sa renommée, puis un long ouvrage : L’Académie imaginaire. Il avait tout prévu.

Pourquoi lui attribuer ce nom de grand médecin ? Tout médecin, quels que soient les honneurs qui lui sont rendus, ne saurait être reconnu grand s’il n’est pas d’abord un bon médecin, capable de comprendre, de soigner, de guérir. Un homme de bien qui fait du bien. N’est-ce pas définir Paul Guth ? J’avais récemment salué notre ami par ces quelques lignes : « pour retrouver le sourire allons à Paul Guth. Véritable antidote de Saint-Just, cet écrivain mériterait laïquement d’être béatifié Saint Bonheur d’être. Face à une époque qui acquiesce à l’agressivité, à l’absurde, au désespoir il prend le beau risque de dire Oui, le bonheur dans un livre jubilant. Le regard de Paul Guth, à la fois rond et pointu, son intelligence de chat, sa culture pétillante comme du champagne, son accent qui fleure bon le thym et le serpolet font de cet essayiste l’ami le plus agréable à fréquenter ».

Qui mieux que cet écrivain savait comprendre les êtres et les choses ?

L’enfance, cet âge d’or de tout destin

Né en 1910 dans les Hautes-Pyrénées, à Ossun, Paul Guth est d’origine modeste. Son père est ouvrier mécanicien, ses grands-parents sont des paysans. Grâce à des bourses il entre au collège de Villeneuve-sur-Lot, puis il monte à Paris, prépare Normale Sup à Louis-le-Grand, où Georges Pompidou et Léopold Sédar Senghor sont ses condisciples. Il devient en 1933 un des plus jeunes agrégés de France.

Pour qui souhaite découvrir ce qu’était la France de cette époque-là, le goût du travail, la force des enthousiasmes, l’esprit d’entreprises au sein de l’entraide familiale, il faut lire Une enfance pour la vie. L’émotion, la drôlerie, la tendresse chantent dans les souvenirs du Naïf. L’enfance est cet âge d’or de tout destin, cette forêt enchantée d’où jaillissent tous les thèmes créateurs. Les jeunes années de Paul Guth ont illuminé son œuvre d’écrivain.

Après les études il devient professeur de lettres à Dijon, à Rouen puis à Paris, où l’un de ses élèves se nomme Valéry Giscard d’Estaing. Il quitte l’enseignement. Il entre en littérature comme on entre en religion, sans jamais perdre ce goût d’éduquer, de pratiquer l’art d’élever les esprits en leur donnant en partage les fleurs et les fruits du magnifique jardin des lettres françaises.

Mais l’œuvre magistrale où son immense érudition, son sens de l’analyse, son jugement quasi infaillible, son talent aux ressources multiples brillent de tous leurs feux est son Histoire de la littérature française(Ed. du Rocher). Si, par malheur, vous doutiez de tout et surtout de notre « doulce France » si bien célébré dans la Chanson de Roland (fin du XIe siècle), puisez largement dans cette œuvre vivifiante. Elle vous rendra amoureux de notre merveilleux pays que les cuistres, les politiciens et les ânes bâtés défigurent sous le nom d’Hexagone.

Retrouver des raisons d’être français

Ecoutons-le dans sa préface : « Pendant des siècles, les Français ont nourri leurs rêves de grandeurs des Vies des Hommes illustres de Plutarque. Pourquoi ne pas les exalter aujourd’hui avec les Vies de leurs grands écrivains ? Toutes exemplaires, même celles des voleurs et des ivrognes, comme Villon et Verlaine parce qu’elles témoignent de la recherche désintéressée d’une autre vie. A force de travaux et de malheurs, de tourments et de folies, elles s’élancent à la conquête d’un monde surnaturel. »

Il poursuit : « Jamais il ne fut aussi urgent de célébrer les saints et les héros qui, au cours des siècles, à force d’acharnement et de génie, ont amassé notre patrimoine. Il est temps de retrouver des raisons d’être Français, à travers Villon et Molière, de reconstituer le seul capital qui échappe à tous les effondrements politiques, économiques, sociaux. A l’heure où l’on parle de l’Europe, jetons dans le Marché commun des sensations et des idées, Montaigne, La Fontaine, Voltaire, Hugo, montrons ce que les Français sont été capables de créer, ce qui leur commande de s’adapter au monde moderne, ce qui leur interdit de déchoir. »

Ne vous imaginez surtout pas que Paul Guth, auteur du Chat Beauté, n’était que patte de velours. Lui qui savait si bien, trop bien, fêter ceux qu’il aimait : « Ah ! mon ami, mon merveilleux ami ! », savait distribuer de sacrés coups de griffes. Sa Lettre ouverte aux illettrés lacère à plaisir les mauvais maîtres, les fossoyeurs de la pensée et de l’humanisme français. Dans son Histoire, à côté des louanges, tombent des critiques comme grêlons au mois de mars. Mais sous les averses, les talents de nos maîtres reverdissent et fleurissent d’autant mieux. Tous nos auteurs deviennent, par les soins du bon médecin Paul Guth, des maîtres de vie.

Alors sortons de l’anémie débilitante. Faisons une cure de santé avec notre ami Paul. La finesse de pensée, le sel attique, en ces temps de fadeur et de pollutions mentales, ne serait-ce pas la meilleure des médecines possibles ?

 Présent

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