Grâce à qui le Conseil représentatif des associations noires de France (CRAN) peut-il fêter les 160 ans de l’abolition de l’esclavage ? Grâce à la France. Il semble donc temps d’en finir avec le sentiment de culpabilité individuel de l’homme blanc. Ne serait-ce que parce que les Européens aussi ont été victimes de l’esclavage. Bien que chez nous, il serait mal vu de verser des larmes de crocodile en attendant le jackpot.
Finalement, Nicolas Sarkozy plie et ne rompt pas. Voici (re)venir la repentance sur l’esclavage. Souvenez-vous. Le 10 mai, le Conseil représentatif des associations noires de France (CRAN) célèbre l’anniversaire de la loi Taubira (10 mai 2001), reconnaissant la traite atlantique – et rien qu’elle – comme un crime contre l’humanité, tout en commémorant les « 160 ans de l’abolition de l’esclavage ». Les militants communautaristes en profitent pour dénoncer « l’esclavage moderne » et défendre la cause des « sans papier », c’est-à-dire des immigrés illégaux, présentés comme les nouveaux esclaves de la France. Dans la foulée, Nicolas Sarkozy s’engage : désormais, l’histoire de l’esclavage et de la traite (atlantique) sera au programme des écoles primaires ! Il y est déjà, noteront les rabat-joie. Mais comme on dit, c’est l’intention qui compte.
Nous sommes loin du Sarkozy candidat qui, le 5 avril 2007, à Lyon, marquait des points électoraux en contant fleurette aux Français : « Nous avons eu tort de trop laisser dénigrer la France, son histoire et son identité. Je déteste cette mode de la repentance qui exprime la détestation de la France et de son histoire. (…) Je déteste la repentance qui est la porte ouverte à la concurrence des mémoires. » C’était bien dit.
On aurait dû commencer à se méfier lors du discours de Dakar, le 26 juillet 2007, où il était venu « parler franchement à l’Afrique » : « Il y a eu la traite négrière, il y a eu l’esclavage, les hommes, les femmes, les enfants achetés et vendus comme des marchandises. Et ce crime ne fut pas seulement un crime contre les Africains, ce fut un crime contre l’homme, ce fut un crime contre l’humanité toute entière. (…) Mais nul ne peut demander aux générations d’aujourd’hui d’expier ce crime perpétré par les générations passées. » Tout était dit. Sauf une chose : « Ce sont des Africains qui ont vendu aux négriers d’autres Africains. » Dans L’Afrique répond à Sarkozy, un ouvrage de combat en réponse à ce discours jugé « nul », « inculte », « stupide » (que des arguments de fond), un collectif d’Africains dévoile que cette phrase, figurant dans le discours imprimé, n’a pas été reprise par Sarkozy et a, depuis, disparu de la version en ligne sur le site de l’Elysée. C’est dommage.
Dommage car, en n’osant pas affirmer toute la vérité, le futur président de la République a laissé les associations communautaristes s’emparer de la mémoire de l’esclavage. Jusqu’à la caricature. A les entendre, ce phénomène daterait du XVIe siècle et se limiterait aux colonies européennes d’Amérique ou aux plantations de coton. Le maître y est nécessairement blanc. L’esclave obligatoirement noir. D’où évidemment, racisme intrinsèque de l’esclavage et retard pris par l’Afrique, à cause des blancs. CQFD. D’où aussi, demandes de repentance et de compensations sonnantes et trébuchantes, deux siècles après. Cette définition un peu fort de café (noir) appelle quelques commentaires.
D’abord, si le CRAN peut se flatter de commémorer les « 160 ans de l’abolition de l’esclavage », c’est uniquement parce que les Européens – qui n’ont pas inventé l’esclavage – sont les premiers à l’avoir aboli. Sans la France, le CRAN aurait l’air malin – et on est poli – en célébrant les 9 mois de l’abolition en Mauritanie (août 2007) !
Rien n’empêchera les plus pathétiques de quémander toujours un plus de monnaie, mais pourquoi ne pas rappeler quelques vérités ? L’esclavage est un drame universel, qui ne peut se limiter aux seuls noirs. Il fut pratiqué sur toute la planète, par tous les peuples, à toutes les époques et existe encore aujourd’hui. Le mot « esclave », étymologiquement, vient de « Sclavus » – le Slave. Le mot se forge durant l’antiquité tardive, lorsque les peuples d’Europe centrale et de l’Est sont massivement asservis par des Francs et des Italiens. Auparavant, on disait « servus », en latin. Les Slaves sont vendus, généralement par des marchands juifs, dès le VIIe siècle, aux trafiquants du monde arabe… Question : pourquoi Vladimir Poutine ne demanderait-il pas des réparations à l’Europe de l’Ouest et Israël pour l’asservissement de ses ancêtres russes ? Vous souriez ? Alors question subsidiaire : pourquoi un noir demandant la même chose est-il pris au sérieux ?
Autre question : les blancs sont-ils les seuls à avoir pratiqué l’esclavage ? Incontestablement, non. Les Européens sont même les premières victimes de la traite orientale, menée par des arabo-musulmans. Jusqu’au XIXe siècle, les pirates barbaresques asservissent des blancs. Si repentance il doit y avoir, elle devrait toucher chaque peuple de la terre. Et notamment les Arabes. Ces mêmes Arabes qui, selon les historiens, sont aux sources de la traite des noirs. Pour Olivier Pétré-Grenouilleau, « du fait qu’elles étaient non musulmanes, et donc sujettes au djihad, les populations noires étaient toutes susceptibles de fournir des esclaves. » Jacques Heers précise qu’il en va de même des blancs asservis par les musulmans.
Pour Patrick Manning, « le Coran et les lois islamiques encouragent les propriétaires d’esclaves à affranchir les leurs au moment de leur mort. Mais avec le temps et l’extension de l’islam (…) celui-ci semble avoir beaucoup plus fait pour protéger et étendre l’esclavage que l’inverse. » Aujourd’hui, l’esclavage perdure en Afrique et dans le monde arabe, comme une coutume. Si les militants communautaristes africains veulent culpabiliser quelqu’un, c’est là-bas que cela se passe. Gageons que ce sera moins facile qu’avec les Européens.
Au cœur de la repentance, se trouve également la notion de racisme intrinsèque des blancs à l’égard des noirs. Or, la traite atlantique ne reposait pas sur des préjugés raciaux. Il s’agissait d’un système économique. Avant de faire travailler des noirs, les planteurs ont fait trimer des blancs : les engagés. Ces Européens qui voulaient tenter leur chance au Nouveau monde se faisaient payer le voyage, en échange de 36 mois de travail agricole gratuit. Ils vivaient dans des conditions bien plus dures que les esclaves, car leur créancier entendait bien en retirer le double ou le triple de ce qu’ils avaient coûté. Et si, à la fin de leur contrat, ils n’étaient plus que des loques brisées, cela n’avait aucune importance : un engagé en pleine forme prenait la place. C’est la différence entre le salarié et l’esclave, qui a coûté aussi cher qu’un bœuf ou un tracteur d’aujourd’hui, et qu’il est impératif d’amortir financièrement. En outre, le fameux « Code noir », célèbre texte juridique encadrant la pratique légale de l’esclavage, oblige le propriétaire à s’occuper de son esclave jusqu’à la mort.
Lorsqu’en 1660, au moment de l’ouverture des hostilités entre les puissances européennes, les engagés se reconvertissent massivement dans la guerre de course, les planteurs cherchent une autre main d’œuvre. Ils auraient pris des Chinois ou des Indiens si la Chine ou l’Inde avaient vendu des esclaves. Ils se sont tournés vers l’Afrique. Parce que, depuis la nuit des temps, les Africains vendaient des Africains. Là encore, les historiens sont formels, ainsi que les sources de l’époque.
Alors d’accord, l’esclavage est une horreur, que nul ne songe à défendre. Mais de repentance, il ne peut être question. Ainsi que le disait le candidat Nicolas Sarkozy, « nul ne peut demander aux fils de se repentir des fautes de leurs pères ».
De même, aucun Européen ne demande repentance pour nos ancêtres asservis par des peuples étrangers. D’abord, parce que nous avons notre fierté. Ensuite parce que nous n’attendons pas de compensation politique ou financière de ce genre d’opération… Et qu’on peut toujours se brosser en espérant des excuses du monde arabe ! Enfin, d’un point de vue historique, nous comprenons que l’esclavage fut, jadis, une pratique affreuse, mais banale.
En revanche, ainsi que le rappelle le CRAN à son corps défendant, il y a 160 ans, la France et les Etats européens ont aboli l’esclavage. Qui dit mieux ? Personne. Ainsi que le souligne Pétré-Grenouilleau, la notion d’abolition est purement « un concept occidental ». Sous l’influence de l’Eglise catholique et d’un athée franc-maçon comme Victor Schoelcher, nous avons contribué à rendre ignoble une pratique qui semblait normale à tout le monde. Rien que pour ça le Cran pourrait nous dire merci !
Patrick Cousteau – Le choc du mois