Camille Claudel, correspondances d’Anne Delbée

Les 150 ans de la naissance de Camille Claudel

 

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Par Marie Piloquet

C’est le travail d’Anne Delbée, femme de théâtre, qui remit en lumière dans une biographie romancée, en 1982, la vie de la sœur aînée de Paul Claudel, en s’appuyant en particulier sur son texte paru en 1951, « Ma sœur Camille ». Le succès fut immédiat. Les féministes pensèrent y trouver une alliée. Le monde y trouva plus simplement une fragile passionnée, à la sensibilité exacerbée et au talent immense, à qui la vie n’a pas souri. Elle passa les trente dernières années de sa vie dans un asile et y mourut de malnutrition pendant la guerre, en 1943.

A ce titre, la nouvelle édition augmentée de sa Correspondance, rassemblée sous l’égide d’Anne Rivière et de Bruno Gaudichon, représente un précieux outil de travail pour les chercheurs mais aussi pour les amateurs qui, tout au long des lettres, retrouveront ses œuvres et son visage. Il y a là l’ensemble des sources manuscrites écrites par Camille Claudel, permettant de rétablir une chronologie pourtant ombreuse et de suivre pas à pas la vie du sculpteur.

Beaucoup sont écrites de sa main – elle brûlait en partie les missives qu’elle recevait. Certaines n’ont jamais été expédiées et sont restées dans son dossier médical. D’autres ne lui ont pas été remises. C’est une construction touchante du personnage qui se fait. On s’immisce dans son quotidien, on rentre dans l’intimité de ce qui fut son environnement social, amical et professionnel, les trois étant constamment mêlés. Une œuvre s’ébauche, dans l’exact déroulement de sa vie.

« Elle sculpte et dessine comme son frère écrit » (Léon Daudet)

On voit les Daudet rendre visite à Camille dans son atelier. On y découvre Rodin toujours malade, toujours passionné de sa brillante élève, et une Camille qui se méfie très vite de ce « vieux Satan » comme elle le qualifie. Pour elle, jusqu’à la fin, ce fut Rodin et ses marchands d’objets d’art qui l’ont fait envoyer « faire pénitence dans les asiles d’aliénés ». Son frère Paul fit ce terrible constat : « Ma sœur Camille avait une beauté extraordinaire, de plus une énergie, une imagination, une volonté tout à fait exceptionnelles. Et tous ces dons superbes n’ont servi à rien : après une vie extrêmement douloureuse, elle a abouti à un échec complet. »

Depuis son asile, c’est surtout à sa mère et à son frère qu’elle s’adresse, dans une douloureuse imploration. La paranoïa se mêle à la détresse. Seul Paul continuera à rendre visite à celle qui a tout oublié du génie qu’elle avait de la sculpture, « cette chambre intérieure où le poète abrite ses rêves interdits » (Paul). Et ces mots d’Eugène Blot, son fondeur, dans une lettre envoyée en 1932, alors que Camille Claudel est déjà enfermée depuis 19 ans, pointent le drame incompris : « Comment avez-vous pu nous priver de tant de beauté ? » Elle qui avait levé tant de modernité dans son art, qui avait eu l’audace de sculpter les nus comme un homme, a fini seule, dans le tourbillon de sa folie.

Il y a encore des fonds inconnus à dénicher, des correspondances perdues à retrouver. Anne Rivière et Bruno Gaudichon ne s’en cachent pas et sûrement s’en réjouissent. Qu’en était-il du sentiment de la sculpteur sur ses contemporains, de ses théories sur l’Art et sur son art propre ? Point de discours précis. Mais Camille Claudel laissait à ses mains le soin de s’exprimer. Lorsqu’elles ont cessé de donner forme, la raison l’a quittée.

• Camille Claudel, Correspondance, Gallimard.

Lu dans Présent

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