Il y a tout juste un an, en mars 2017, les prestigieuses éditions des Belles Lettres publiaient un magnifique ouvrage, solidement relié, imprimé sur du beau papier. Il s’agissait d’un événement littéraire : les Œuvres Complètes de Tertullien, qui n’étaient plus disponibles depuis la Monarchie de Juillet. Tertullien ! Un des plus grands auteurs de l’Antiquité tardive, un des piliers de l’Eglise, une des références de l’Occident pendant des siècles.
En plus, il est si actuel, Tertullien. Nous vivons dans une société de spectacle ? Il a écrit Contre les spectacles. Notre époque n’est que paraître, obsédée de modes ? Qu’on lise son traité De l’ornement des femmes : un bijou ! Et son analyse de L’Idolâtrie ! Et son plus célèbre ouvrage, son Apologétique ! Il écrit à la lumière de l’Eternel, et la vérité ne se démode pas.
Il est évident que le peuple de France, fille aînée de l’Eglise, s’est rué sur ce fort volume. La défense de la Tradition, du patrimoine, de nos racines chrétiennes : ce ne sont pas que des mots ! Nous ne sommes pas des pharisiens, ni des menteurs. Si l’on met nos enfants dans des écoles privées, c’est bien pour qu’ils lisent des classiques, Balzac ou Racine, et pas des nullités contemporaines. Et nous, adultes, nous sommes cohérents : si nous exigeons cela de nos enfants et de leurs professeurs, ce n’est certainement pas pour nous laisser aller entre le Figaro et la vieille Nothomb ! Naturellement, nous prêchons d’exemple nos chères têtes blondes, nous défendons nos valeurs : nous avons tous acheté et lu ce Tertullien.
La réalité est, hélas ! tout autre. L’éditeur rougit tellement des chiffres de ventes qu’il les cache : on les estime à quelques centaines, tout au plus. Pendant ce temps, en un an, le petit Jean a écoulé 180 000 livres, les Français ont passé 4 h 30 par jour devant leur télé, 4 millions sont allés voir Star Wars, et le dernier Goncourt, qui nous refait le coup des méchants nazis, approche les 200 000 lecteurs. En 2017, c’est Tertullien qui est mort, noyé sous les 80 000 nouvelles publications, parce que personne ne l’a acheté, personne ne l’a lu. Et demain ? Que restera-t-il de saint Augustin, de saint Thomas, de tous les Pères de l’Eglise ? Seulement ce que nous en aurons lu. Un soir, il nous sera demandé compte de nos actes. De nos lectures aussi.
Il y a un Grand Remplacement, patent. Il y en a un autre : le patrimoine littéraire de l’Occident est remplacé par un torrent de nouveautés. Ces avortons s’évaporent sitôt nés, mais le flux est continu et notre héritage sombre. Mais si notre héritage sombre, c’est faute de défenseurs. Heureusement, il ne tient qu’à chacun d’entre nous de résister, et de lire de temps en temps de vrais livres, comme Tertullien.
Marcel Gaillard- Présent
Tertullien, Œuvres Complètes, Les Belles Lettres, 2017, 1 168 pages, 69 euros.