La couv’ du moment / Céline, Fernandez, Brasillach…

Par J.-Z. Alexandre

A signaler, dans le Bulletin célinien de mars (1), un bel article de notre collaborateur Robert Le Blanc sur « L.-F. Céline et les hommes de Marianne ». Il s’agit évidemment non de l’hebdo actuel, mais de celui des années 1930, dirigé jusqu’en 1937 par Emmanuel Berl. Outre Berl, on trouvait, parmi les animateurs de ce Marianne, Malraux, qui fréquentait et admirait Céline en 1932-1934 (il lui envoie La Condition humaine avec une très belle dédicace, reproduite dans le Bulletin, et défend même son « langage parlé » contre Gorki, à Moscou en 1934), puis Ramon Fernandez, imperturbable titulaire du feuilleton littéraire jusqu’au 15 mai 1940, malgré ses variations politiques (communisant en 1932-1936, doriotiste ensuite).

 L’ami Le Blanc note que Ramon Fernandez, malgré toute sa sympathie (même pour Mort à Crédit, chose rare en 1936), « ne prend pas vraiment la mesure de l’œuvre de Céline » (il aura pourtant une belle formule sur Guignol’s Band en 1944). Ajoutons que c’est confirmé par Itinéraire français (octobre 1943), livre sur la littérature en France de Corneille à Drieu La Rochelle, où Céline n’est pas mentionné une fois (pas plus que Giono). Il est vrai que c’est un étrange livre où Fernandez en promet plusieurs autres, comme s’il avait devant lui une longue carrière tranquille, lui qui devait mourir le 2 août 1944 : il annonce un livre où il « compte traiter de ce qu’eût pensé Péguy depuis l’armistice », un autre sur le roman contemporain où il analysera notamment « l’œuvre exquise de Jacques Chardonne », un autre (ou le même ?) où il traitera de Malraux « le plus original et peut-être le plus marquant des jeunes » (de la génération Arland-Drieu-Montherlant, dont il parle ici)…

Peut-être Fernandez avait-il prévenu Céline (il le rencontrait et le tutoyait) qu’il le réservait lui aussi pour cet hypothétique Itinéraire français (II). Mais on comprend les « mille mercis affectueux » adressés par l’auteur de Voyage au bout de la nuit à Brasillach en mai 1944, quand il découvre Les Quatre Jeudis, recueil assez proche d’Itinéraire françaispar sa conception, mais où il a droit à quinze pages, ce qu’aucun essai sur la littérature contemporaine ne lui avait encore accordé ! Brasillach le voit d’ailleurs plutôt en « prophète » (genre Bloy) qu’en rénovateur du roman.

Un des mérites de l’article du Bulletin célinien est de réfuter l’image arrangée que Dominique Fernandez a donnée de son père Ramon il y a quelques années, inventant par exemple une brouille avec Brasillach. Or Le Blanc signale deux faits occultés pour les besoins de cette thèse : Ramon Fernandez a donné une critique très favorable des Quatre Jeudis en juin 1944, et Brasillach une nécrologie très sympathique de Ramon le 15 août (reprise dans les Œuvres complètes du Club de l’Honnête Homme). Notons, pendant que nous avons Itinéraire français sous la main, que Ramon y loue sur cinq pages le Corneille de Brasillach. Dominique Fernandez refuse par ailleurs de publier les lettres de Céline reçues par son père. Ces lettres sont-elles compromettantes ? Céline a écrit en 1947 qu’il « aimait bien Ramon Fernandez, ce philosophe musclé ». L’adjectif est d’ailleurs ambigu : est-ce la pensée qui était vigoureuse, ou le corps ? Ramon, licencié de philosophie, aimait aussi le sport, et partageait avec Céline le goût de la moto.

Le même Bulletin célinien contient un article d’Eric Mazet sur Céline en 1929, année agitée où il s’encanaille volontiers, avec Elizabeth Craig, son amie américaine (belle photo en couverture), sur la Malamoa, péniche qu’Henri Mahé, un jeune Breton de Paris, fait naviguer de Grenelle à Courbevoie, avec de joyeux drilles dansant et chantant. Une des photographies est particulièrement intéressante, car elle réunit deux personnages qui ont laissé une trace dans l’œuvre ou la vie de Céline : Maguy Malosse à la gauche de l’accordéoniste, et André Saudemont (debout).

La récente anthologie de Claire Bouglé, La Littérature française et le Droit (2), mentionne Saudemont (1900-1970) dans son chapitre Céline, parmi les juristes auxquels le Dr Destouches confia ses intérêts : Saudemont fut son défenseur dans le procès intenté en 1938 par le Dr Rouquès (un médecin attaqué dans L’Ecole des Cadavres), mais il ne parvint pas à éviter l’amende et les dommages-intérêts… Eric Mazet nous apprend que Saudemont avait pour alter ego son confrère Guillaume Lasne-Desvareilles, royaliste ambigu que Céline aimait moins, et qu’il composait des chansons : ainsi Le Bistro du port, en 1934, pour Lys Gauty, qui connut le succès.

Quant à Maguy Malosse, elle figure sur la péniche toulousaine de Voyage au bout de la nuit : « Une belle personne qui jouait de l’accordéon comme un ange… De vrais yeux de velours… » Allez donc voir, c’est au chapitre 37.

(1) Adresse : M. Laudelout, Bureau Saint-Lambert, B.P. 77, BE 1200 Bruxelles. Le numéro : 6 euros.

(2) Ed. Lexis-Nexis, 2013, 45 euros.

Légende des illustrations.

– Le 1er août 1934, ce dessin de Gassier dans Marianne illustre bien l’éditorial de Berl (qui mènera comme Maurras, jusqu’en septembre 1939, un combat acharné contre une déclaration de guerre à l’Allemagne) : Doumergue, alors président du Conseil, est soupçonné de laisser venir la guerre.

– Sur la Malamoa.

Lu dans Présent

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