Découvert par une jeune éditrice des éditions Grasset (Alice Isaaz) dans une bibliothèque de livres refusés, en Bretagne, le manuscrit d’un certain Henri Pick va bouleverser plus d’une existence. Rapidement triomphe du monde littéraire, Les Dernières heures d’une histoire d’amour connaît d’autant plus de succès que le « roman du roman » fascine : il s’avère en effet que selon sa veuve, l’auteur en question, pizzaiolo sa vie durant, n’a jamais écrit ni lu, ne serait-ce qu’une ligne de journal.
Dans le milieu intellectuel parisien, un homme ne participe pas à l’enthousiasme général et spontané : Jean-Michel Rouche (Fabrice Luchini), animateur en vue d’une émission littéraire télévisée, recevant en exclusivité la veuve d’Henri Pick, ne dissimule pas son incrédulité. Pour lui, il est totalement improbable que l’auteur soit son mari. Limogé sèchement pour cette sortie osée, Jean-Michel est quitté dans la foulée par sa femme qui lui reproche d’être aigri face à la vie. Une chose reste à faire à l’ancien animateur : aller jusqu’au bout de l’enquête qu’il a commencée. Pour cela il trouve, après quelques heurts, une alliée inattendue en la personne de Joséphine (Camille Cottin), fille d’Henri, partagée entre deux désirs : celui de protéger sa mère face à celui qui apparaît comme un destructeur de « joie posthume » et celui, irrépressible, de connaître elle aussi la vérité.
Tiré du roman de David Foenkinos du même nom, le film est assez librement adapté, en ce qui concerne les personnages seulement : il ne surprendra donc pas ceux qui on lu le premier. On apprécie cette enquête bien menée, même si certains acteurs manquent un peu de cachet. Heureusement, le duo Camille Cottin-Fabrice Luchini, de qualité, modèle le film. Le rôle de Jean-Michel Rouche, homme mûr cultivé et sceptique, va comme un gant au comédien. Au bout de l’enquête, que trouver ? Tout le monde peut se retrouver dans un roman…
Raphaëlle Renoir – Présent
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Le mystère Henri Pick, un film anti-Gilets jaunes ?
À Crozon, presqu’île finistérienne, un libraire, reprenant une idée de l’écrivain américain Richard Brautigan, a créé une bibliothèque des manuscrits refusés. Une jeune éditrice y découvre un roman qu’elle décide de publier. Il devient un best-seller. Son auteur, Henri Pick, un pizzaïolo breton décédé deux ans plus tôt, n’aurait, selon sa veuve, jamais écrit autre chose que ses listes de courses.
Persuadé qu’il s’agit d’une imposture, Jean-Michel Rouche (Fabrice Luchini), célèbre critique littéraire (toute ressemblance avec un Pivot régénéré ou un Busnel un peu consistant serait purement fortuite), décide de mener l’enquête sur l’énigmatique Henri Pick.
Sur la presqu’île de Crozon présentée comme un anus mundi, (alors qu’il s’agit d’un des lieux les mieux fréquentés de la région brestoise – 37 % de résidences secondaires), Rouche obtient l’aide de la fille d’Henri Pick pour résoudre le mystère.
À partir de là, on est embarqué dans un téléfilm de France 3 Bretagne. Presque tous les clichés sur le Finistère sont passés en revue, ne manque que les cirés Cotten et les épuisettes dont les bobos parisiens s’équipent quand ils débarquent dans ses lointaines contrées sauvages.
Rémi Bezançon, le réalisateur, au lieu de laisser les clés à Fabrice Luchini sans doute pour aller boire quelques verres de Paso Doble au Bristol, aurait dû travailler le scénario. Du livre de Foenkinos, écrivain sans grande envergure, au style et au souffle quelconques, il suffisait de garder l’idée : un manuscrit écrit par un inconnu (un pizzaiolo ou un garçon coiffeur – n’est-ce pas M. Luchini ?) devient un chef d’œuvre qui rencontre un succès monumental.
Mais c’est impossible dans la France macronienne, la France de la haine du peuple, la France éborgnée par la milice du régime.
Dans la France de Bernard-Henri Lévy, le pseudo-philosophe dépoitraillé qui voit dans chaque Gilet jaune « un casseur de flic, de juif et de pédé », dans la France de Luc Ferry, autre dandy pseudo- philosophe qui, lui, souhaite que l’on tire à balles réelles sur le populo, dans la France qui fait chier l’acteur François Berléand, il n’est pas pensable qu’un écrivain surgisse des profondeurs du pays. Un pizzaiolo (ou un crêpier ou un maçon…) ne peut écrire un chef d’œuvre. Seule l’intelligentsia germanopratine, seuls les bobos des raouts littéraires qui carburent au champagne, pas au chouchen, qui tirent sur un joint pour se donner un peu de courage (la coke et l’héroïne sont évitées), seuls les écrivaillons estampillés NRF ou Grasseuil, peuvent extirper de leurs neurones bien formatés un chef d’œuvre.
Ceux qui sont sortis de l’ombre en gilets jaunes, ceux qui se sont matérialisés sur les ronds-points avec des drapeaux tricolores n’ont qu’à fermer leur gueule. Et retourner au boulot.
Il faut vraiment être très cons pour avoir songé une seconde qu’un pizzaiolo avait pu lire Pouchkine et sublimer son intelligence sur des feuilles 21×29,7 glissées dans une machine à écrire.
Comme le dit le personnage joué par Luchini, un Français sur trois écrit. Comprendre : des millions de manuscrits merdiques gisent dans les tiroirs du vulgum pecus. Comprendre : il n’y a d’écrivains que parmi les élites littéraires parisiennes. Hors de ce monde de faux-semblants, de faux-culs, capable de monter un storytelling pour créer un événement en librairie, pas de littérateurs.
Même la liste de courses de Proust était du Proust, dit Rouche-Luchini, en lisant la lettre d’une banalité à s’effondrer d’Henri Pick à sa fille partie en vacances de neige. Ite missa est.
Denis Tillinac me confia de son expérience d’éditeur à La Table Ronde que les maisons d’éditions recevaient des milliers de manuscrits par La Poste. Elles n’en publiaient aucun. La valeur d’un texte n’était pas dans le texte mais dans celui qui le signait, dans les liens qu’il avait tissés avec le milieu littéraire, dans les amitiés particulières ou non qu’il entretenait.
Reste un ou deux cas comme celui de Jean Rouaud, le kiosquier, prix Gongourt 1990 avec Les Champs d’honneur. Mais avant de vendre des journaux sur un grand boulevard parisien, il avait été journaliste et libraire et, avant d’être publié, connaissait Jérôme Lindon le directeur des éditions de Minuit.
Cependant un auteur qui dit : « Dans notre société néolibérale, avec ses nouvelles technologies, tout a été déshumanisé. Personne n’est plus là en direct, quand quelqu’un a un problème. On n’a même plus droit à un vrai échange avec la caissière au supermarché ! Tous ces gens qui se retrouvent aux ronds-points, cela ne me surprend pas » (Jean Rouaud, interview Ouest-France du 9 février) ne peut être totalement mauvais.
Marcus Graven – Riposte laïque