Ressuscitons pour le plaisir la plus célèbre, et probablement la plus scandaleuse, de toutes les fêtes organisées à Chenonceau. Le célèbre Bal des seins nus se déroule le 9 juin 1577 dans la grande galerie du château jetée au-dessus du Cher. Celle-ci vient d’être achevée. Diane de Poitiers en avait eu l’idée, mais c’est Catherine de Médicis qui l’a fait édifier. Il faut l’inaugurer. La reine mère et son fils Henri III décident d’y offrir un somptueux banquet avec musique et danses. Cependant, Catherine poursuit un but secret avec cette fête : montrer à la France entière et à toutes les cours d’Europe que son fils est un homme, un vrai, capable de donner un dauphin à la France. En effet, sa folie du travestissement prête à confusion. On commence à se gausser de ce roi aux manières efféminées, entouré de mignons, toujours à se poudrer et à s’habiller de dentelles. En réalité, Henri III et ses mignons sont de vrais mâles aimant les femmes toujours prêts à dégainer leur épée pour un duel. Ainsi, le roi est éperdument amoureux de son épouse Louise de Lorraine.
Un mois seulement avant le banquet de Chenonceau – le 15 mai 1577 -, Henri III avait ainsi organisé une fête au Plessis où il avait donné pour consigne à tous les courtisans de se travestir : les hommes en femmes et les femmes en hommes. Voilà ce qui aurait donc poussé Catherine à organiser une contre-fête licencieuse… pour faire oublier au roi ses mignons. C’est un contemporain, Pierre de l’Estoile, qui rapporte dans ses Mémoires : “En ce beau banquet, les dames les plus belles et honnêtes de la cour, étant à moitié nues et ayant leurs cheveux épars, furent employées à faire le service.”
Dans la galerie illuminée de mille torches, le roi apparaît dans une robe de damas arborant des centaines de perles, d’émeraudes et de bijoux. Ses cheveux couverts de poudre violette sont mêlés à de nombreuses perles. Son visage est maquillé avec une épaisse couche de fard, le rendant aussi expressif qu’une momie. À ses côtés, la reine Louise est une simple bergère dans sa simplicité. Comme à son habitude, Catherine de Médicis est vêtue de noir, portant le deuil de son époux mort dix-huit ans auparavant. La table royale est au centre des autres tables, les soixante femmes voilées de transparence entament le service. Le banquet se poursuit par un bal. La nuit devient de plus en plus chaude et s’achève, dit-on, en bacchanale dans les bosquets voisins du château. Seul le roi resta de glace. Catherine manqua son coup. Cette fête orgiaque lui aurait coûté 200 000 livres, soit le prix de toute une armée.