Le salon du livre d’Angoulême vient de fermer ses portes, et force est de constater que la bande dessinée constitue aujourd’hui un segment extrêmement prospère de l’édition. En 2015, le chiffre d’affaires de la bande dessinée aura frôlé les 460 millions d’euros, en forte progression par rapport à 2014. Depuis 2008 – et on serait tenté d’écrire : à l’inverse de tous les autres secteurs économiques – les ventes de BD en France n’ont cessé d’augmenter. Comme si la dépression économique et les malheurs du temps poussaient les Français à se réfugier dans la lecture, et spécialement dans ce type de lecture, grand public et pas cher.
Pas cher car il s’est vendu 39 millions d’albums, cette année ; et, rapporté au chiffre d’affaires, cela nous donne un prix de vente moyen des albums inférieur à 12 euros. Quand on sait que la quasi-totalité de ces albums sont en quadrichromie, qu’il faut le plus souvent se mettre à plusieurs pour réaliser une BD : le dessinateur, le scénariste, le coloriste, et qu’une seule planche (bien) dessinée nécessite plusieurs journées de travail, ce prix de vente n’est possible que parce que ces albums connaissent des tirages sans commune mesure avec ce que l’on voit dans le domaine du roman et pour les autres types de livres. En 2015, il n’y a eu que 3 900 nouvelles bandes dessinées et, avec les rééditions, 5 200 albums différents. Ce qui donne une moyenne de tirage de 7 500 exemplaires par album. Un chiffre mirifique pour tout éditeur de livres « normaux ». Dans l’édition du livre non illustré, des volumes de vente de 1 000 ou 2 000 exemplaires forcent déjà le respect ! Et les éditeurs – les célèbres Presses Universitaires de France et d’autres – visent, pour certains titres (par exemple le très respecté mais peu lu Julien Gracq), des ventes de 200 ou 300 exemplaires, avec l’aide d’imprimeurs spécialisés désormais équipés pour réaliser à moindre coût de tout petits tirages.
Si les albums de BD conservent des prix de vente aussi faibles, c’est du fait des quantités imprimées, mais aussi grâce à l’évolution technologique. Désormais beaucoup de dessinateurs travaillent sur ordinateur. Quant aux mises en couleur, elles ne sont plus faites au pinceau depuis de très nombreuses années.
Capitaliser sur les valeurs les plus sûres
Cette année a été marquée par les ventes records du dernier Astérix. Le Papyrus de César, paru pourtant à la toute fin 2015 (le 22 octobre, très exactement), s’est déjà vendu à 1,7 million d’exemplaires. Son succès a relancé les ventes des 35 autres albums de la série, une série qui constitue désormais les plus grosses ventes bédéistiques de tous les temps (merci Goscinny !).
Que dire encore du cru 2015 de la bande dessinée et des perspectives de ce secteur ? D’abord que c’est toujours le segment jeunesse qui rafle la mise. Il progresse de 20 % en 2015 : dans la hotte du père Noël il y avait, cette année, presque systématiquement, une ou plusieurs bandes dessinées.
Ensuite on constate que les éditeurs capitalisent beaucoup sur les séries, les valeurs sûres, nées dans Spirou, Tintin et Pilote, dans les années d’après guerre : Astérix, bien entendu, mais aussi Blake et Mortimer, Alix, Lefranc. Et voici que paraissent aussi des albums de Corto Maltese ou de Bob Morane. Dans ce monde-là, les valeurs sûres ont la cote, et le lecteur se double d’un collectionneur qui cherchera à se constituer la série complète des aventures de ses héros préférés. Et pour des séries comme Buck Danny, Ric Hochet, Blueberry ou Barbe-rouge, il y a jusqu’à 60 ou 70 titres ! et le filon n’est pas épuisé.
Une piste à explorer pour la grande BD catholique : les Fripounet et Marisette, Oscar et Isidore et autres Patrouille des Castors. Pourquoi pas une suite contemporaine à leurs aventures, avec de nouveaux scénaristes et dessinateurs, pour relancer toutes ces séries et les valeurs qu’elles véhiculent ?
Francis Bergeron – Présent