T-shirts, sacs à main, sites Internet et pages Facebook… la pop culture a une nouvelle icône : Jacques Chirac. Retour sur le “swag” de l’ancien président à mi-chemin entre la machine à sous et l’incarnation d’un modèle pour toute une génération, façon Dujardin dans “OSS 117″…
« Avez-vous la nostalgie de la présidence de Jacques Chirac ? » Avec ce sondage qui éveille les consciences et marque une avancée sans précédent dans le journalisme politique (on se moque hein…), nos confrères du Point touchent néanmoins du doigt un véritable phénomène de société : le fulgurant regain de popularité de l’ancien président depuis qu’il a quitté ses fonctions en 2007. Oublié Supermenteur, disparus les emplois fictifs de la mairie de Paris, reste un homme de plus en plus amoindri mais qui voit augmenter sans relâche son capital sympathie.
Une multitude de « fanpages » Facebook, de Tumblr, de comptes Instagram et Twitter le trouvent « swag ». Vous ne trouvez aucun sens à cette phrase ? Pas de panique, revenons aux bases. Les quatre termes barbares à majuscules sont des réseaux sociaux et ils sont de formidables thermomètres pour évaluer (et faire progresser) la popularité de Jacques Chirac auprès des jeunes. Quant à « swag », ce mot d’origine britannique serait un néologisme du grand Shakespeare en personne, apparu dans son Songe d’une nuit d’été. Il signifie « classieux, bien habillé et charismatique ». Formidable élasticité de la langue française, il peut se décliner en « avoir du swag » ou « être swag » et a été sérieusement utilisé, essentiellement en 2012 et 2013, par des jeunes âgés de 13 à 17 ans…
Chirac n’échappe pas au phénomène, disions-nous. Et il peut remercier Internet qui contribue à faconner son swag donc. Premier site du genre : le Tumblr « Fuck yeah Jacques Chirac » qui compile, depuis longtemps maintenant, des images de notre JFK corrézien. Le site Chirac-machine.com, lui, permet de réécouter ses répliques les plus percutantes. Quant au site Topito (qui produit des classements comme Boulogne-Billancourt fabriquait des voitures), il a compilé le top 25 de ses meilleures « punchlines » et le top 38 des « photos de Jacques Chirac, un président comme on en fait plus ». Une page Facebook soutient (ironiquement) sa candidature à la présidentielle de 2017 et sur YouTube, ses discours sont mis en chanson. Plus sérieux mais pas moins instructif, la revue Charles lui a consacré sa toute dernière couverture et le Prix du livre politique 2015 a été attribué ce samedi à la journaliste Béatrice Gurrey pour Les Chirac – Les secrets du clan.
Comme si cela ne suffisait pas, depuis trois ans, les ventes d’objets et de vêtements à son effigie explosent. Jean-Christophe Rigoni produit dans son atelier des t-shirts, sweat shirts et sacs à main avec le portrait de l’ancien président. « Nous imprimons les t-shirts un à un, alors c’est facile d’innover. Un jour, pour rigoler, on en a imprimé un de Chirac, on a trouvé ça très drôle. On l’a mis en vente et il est parti direct. Alors on a recommencé et ça a très bien marché », nous confie-t-il. Depuis, des milliers ont été vendus.
Mais pourquoi cet engouement ? Pourquoi lui et pas VGE ? Patrice Duchemin, sociologue spécialiste de la consommation et scruteur de tendances, explique que le phénomène est très symptomatique de notre époque. « Nous vivons dans un monde de rapidité et de dérision. Chirac n’appartient plus à la sphère du politique, mais à celui de la caricature », analyse-t-il. Jacques Chirac, ce ne serait donc plus que la France qui fume et qui picole (de la Corona mais pas que), qui mange de la tête de veau et se fout du cholestérol, joue les séducteurs avec ces dames en « 5 minutes douche comprise » mais ne compte pas ses heures quand il s’agit de tâter le cul des vaches au Salon de l’agriculture…
Bref, Chirac serait l’incarnation d’une époque, d’une « génération » : « Il était en permanence à la télévision depuis les années 1970. C’est toute une génération qui a grandi en le voyant partout, un peu comme elle a grandi avec Casimir », poursuit Patrice Duchemin qui perçoit un côté paternel dans la figure de Jacques Chirac : « On remarque que ce qui est le plus repris de lui, c’est sa période années 1970-80 ». Il était alors jeune, bien habillé, décontracté, un gendre idéal au côté dragueur, un peu comme ce que Jean Dujardin peut incarner dans les films OSS 117 : le ringard cool, limite misogyne, qui nous émeut presque quand on se souvient de ses fulgurances. Comme cette phrase à l’encontre de Margaret Thatcher : « Mais qu’est-ce qu’elle me veut de plus cette mégère ? Mes couilles sur un plateau ? » Ou bien son impeccable « This is not a method » suivi d’un immédiat et souriant « Bonjour » lors d’un déplacement mouvementé dans les ruelles de la vieille ville de Jerusalem…
« Avec lui aujourd’hui, on oublie la dimension politique pour se concentrer sur l’humain » précise Duchemin. Et en effet, personne ne lui en veut pour des décisions prises sous sa présidence et dont on paye pourtant aujourd’hui chèrement les conséquences : ne citons ici que la disparition du service militaire et le passage au quinquennat. Et notons qu’à l’époque tout ça était déjà passé comme une lettre à la poste…
Jacques Chirac est donc aujourd’hui pensé comme un personnage et non comme la personne qu’il est et qu’il a été. Ce phénomène a été entretenu par sa très populaire marionnette des Guignols de l’info. La nostalgie est d’ailleurs essentiellement présente chez les jeunes, entre 20 et 30 ans, qui n’ont jamais eu l’âge de voter pour lui, même à sa dernière élection en 2002, et qui ne l’auraient sans doute pas fait s’ils en avaient eu l’occasion.
Ils adulent une figure qu’ils ont eux-mêmes créée et qui, comme toutes les tendances, commence à s’essouffler. Jean-Christophe Rigoni nous explique que les ventes des produits à l’effigie de Chirac perdent de la vitesse : « Ceux qui en voulaient un en ont acheté, il n’y a pas d’intérêt à en accumuler. La tendance Chirac a eu le mérite de durer un peu plus longtemps qu’une tendance classique » mais elle n’échappe pas à la règle. La chiracmania souffre par ailleurs du « trop de swag tue le swag », celle-ci ayant été lancée par des jeunes qui se complaisent dans l’ironie et le sarcasme et qui, plus généralement, cherchent à s’éloigner du mainstream, de tout ce qui est trop commun.
La boucle est donc en train de se boucler d’elle-même et il y a fort à parier que dans quelque temps, Jacques Chirac sera redevenu un simple grabataire.