Francis Lagrange, faussaire récidiviste

Il avait tout pour réussir, Francis Lagrange (dit “FLAG”, en Guyane). Né en 1894, il prit très vite goût à l’art au contact de son père, peintre de formation, conservateur du Musée de Nantes. Des études brillantes le menèrent à une licence de philosophie, à de multiples diplômes de peinture dans des établissements spécialisés situés dans toute l’Europe ; enfin, il devint facilement un véritable polyglotte. Très tôt, Lagrange eu besoin d’argent, de beaucoup d’argent et si la peinture le faisait vivre confortablement, elle ne lui assurait pas le train de vie que ses gouts de luxe et son amour des jolies femmes rendent nécessaire. Il lui sembla plus rentable de reproduire des tableaux de maître que des œuvres originales, ainsi que des reproductions de timbres rares.

Plus grave aux yeux de la loi, il se rendit coupable de fabrication et d’émission de fausse monnaie. Pour cela, il fut condamné en 1931 à dix ans de travaux forcés, à l’âge de 36 ans (son “travail” était d’une qualité exceptionnelle et la qualité des planches typographiques fit l’admiration des services spécialisés). La peine excédant huit ans, il devrait vivre jusqu’à sa mort en Guyane, une fois libéré. En 1938, il tenta de s’évader, mais fut très vite repris. Condamné à la réclusion sur l’île Saint-Joseph – et non l’île du Diable comme il le prétendit, celle-ci étant affectée aux déportés -, il échappa en grande partie à l’enfer des cachots en peignant une grande partie des logements des surveillants : ainsi, il ne réintégrait sa cellule que la nuit et bénéficiait d’une nourriture normale quand ses compagnons d’infortune étaient souvent détruits par quelques mois du régime réclusionnaire.

A l’expiration de sa peine de réclusion, il fut affecté à l’île Royale d’où les évasions sont quasiment impossibles. Là encore, il mit à profit ses talents pour échapper aux corvées les plus pénibles : on lui doit, entre autres, la décoration de la chapelle (restaurée il y a une vingtaine d’années) et quelques fresques de l’hôpital, malheureusement presque toutes détruites. Il n’avait pas oublié ses talents de faussaire et depuis l’île, il pratiqua toujours la contrefaçon de documents (avec la complicité tacite de certains gardiens) – ce qui permit d’obtenir quelques “douceurs” supplémentaires. On le soupçonne aussi d’être à l’origine du détournement du mercure nécessaire au fonctionnement du phare (la lanterne pivotait en flottant sur une cuve de ce métal liquide). Le mercure très prisé des orpailleurs fut remplacé par de l’huile et revendu sur le continent !

Libéré en 1946, il vivota en peignant quelques tableaux et en reproduisant des cartes postales (son sens de la reproduction et de l’imitation dépassait – et de loin ! – celui de la création). Lagrange avait un incontestable sens du commerce, qui lui fit “oublier” ce qu’il avait appris aux beaux-arts pour intégrer “l’art bagnard”, qui – il faut bien le dire – se résumait la plupart du temps à la confection de croutes innommables, mais qui se vendaient bien.

On lui doit une série de “tableaux” qui, à défaut d’être des chefs d’œuvres, sont un reflet remarquable des conditions de vie au bagne. Une collection relativement exhaustive de ces toiles est présentée au musée départemental de Cayenne, mais certaines demeures bourgeoises de Guyane s’enorgueillissent d’en posséder. A côté de ces productions, Lagrange continua d’exploiter ses qualités de parfait imitateur – pour ne pas dire de faussaire.

Sollicité par un Hollandais pour fabriquer des florins de la colonie voisine (l’actuel Surinam) , il demanda une liasse substantielle à titre de “modèles”, et au lieu de s’acquitter du travail promis, il dépensa les florins en galante compagnie. Son commanditaire venu protester et réclamer son dû, il le dénonça et le fit incarcérer pour tentative d’émission de fausse monnaie ! Les amis de sa victime, pour le venger, lui promirent un travail de décoration bien rémunéré à Albina où ils le remirent à la police coloniale hollandaise. Il fit trois ans de détention pour escroquerie à Paramaribo… bien heureux d’être tombé sur des “caves” : de vrais truands l’auraient assassiné sans autre forme de procès.

A l’expiration de sa peine, Lagrange, quelque peu assagi, regagna Cayenne et se mit en ménage avec une Créole. Il continua d’effectuer divers travaux de décoration et s’il était toujours régulièrement soupçonné de contrefaçon, il ne se fit jamais prendre.

C’est encore le “temps des américains”, en Guyane, venus construire l’aéroport de Rochambeau qui leur était toujours concédé comme base militaire. L’un d’eux s’intéressa à “Flag”, à sa vie, son “œuvre” et l’emmena aux États-Unis. Il y exposa quelques toiles et publia un livre autobiographique, “FIag on Devil Island” (Flag sur l’Île du Diable) dont il prétendra très abusivement avoir vendu 500.000 exemplaires !

Rentré sans la moindre fortune des USA, il se rapprocha de la Guyane et échoua en Martinique pour y décéder dans l’indifférence générale en 1964, à l’âge de 70 ans.

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