Après avoir été, cinq longues années, le chroniqueur méticuleux, hilarant et assassin de l’épuisant règne bling-bling de Nicolas Ier, l’indispensable Patrick Rambaud avait laissé entendre qu’il était exténué et que la vie politique était décidément trop consternante. Il a pourtant récidivé. Vingt ans après la mort de François III, le spectacle offert par la cour, les moeurs et les rivaux de François IV, alias «François le Petit», l’a décidé.
(…) Ils y verront comment «Notre Courte Majesté» s’est enlisée à force de «ne savoir point parler aux gens de leurs problèmes, qu’en fonctionnaire il n’avait jamais sentis»; de promouvoir «une gauche jésuite» avec le comte Macron; ou de laisser le duc Valls «raviver le grand thème du régime précédent, celui de l’immigration», notamment en «cognant fort» sur «les Romanichels, dont personne ne voulait, même chez eux en Roumanie».
Mais entre « un gros mensonge de M. Cahuzac », l’adieu aux ouvriers pour «plier devant les exigences du maharadjah Mittal» et la «répudiation de la marquise de Pompatweet», ils y contempleront aussi, à droite, un contrechamp qui n’est pas moins navrant: celui de «la révolte des lodens», des «basses intrigues» de «l’abbé Buisson» et du retour de «Nicolas-le-Caïd» dont «le parti impérial se déchire».
« Le Prince, note encore Rambaud, avait observé que lorsqu’un événement s’évanouissait dans les gazettes, il disparaissait. Les publicistes étaient avides de nouveautés, et une mode pouvait avantageusement remplacer une guerre, ou vice-versa.» Lui a l’art de ressusciter ce qu’on avait cru important, avant de l’oublier, pour le connecter au reste. Et ce concentré de l’époque, qui donne le tournis, lui tend un miroir crépusculaire qui s’achève, en janvier 2015, sur l’apparition sanguinaire de «crétins islamistes masqués».
Extraits
M. de la Corrèze
“Avant qu’il se figeât sous le nom de François IV, M. de la Corrèze était aisé avec son entourage; rien en lui qui n’allât naturellement à plaire. Vous croisait-il, même si vous ne l’aviez jamais vu qu’en peinture, il s’approchait la main tendue et vous demandait tout de go : «Comment vas-tu?» On eût dit que vous l’aviez quitté la semaine précédente. N’aimant personne en vrai, connu pour tel, on ne se pouvait défendre de le rechercher.
Les gens qui avaient le plus lieu de le redouter, tant qu’il régentait le Parti social, il les enchaînait par des paroles. Il disait oui à tout le monde. Jamais la moindre humeur en aucun temps ; enjoué, gai, paraissant avec le sel le plus fin, invulnérable aux surprises et aux contretemps, libre dans les moments les plus inquiétants et les plus contraints, il avait passé sa vie dans des bagatelles qui charmaient l’auditoire. Il avait brillé en Enarchie, et sortit huitième de la promotion Croquignol où il noua des relations tenaces; dans ce monde clos, très à l’abri des bruits du dehors, sa souplesse ne lui coûtait rien.
Lui qui lisait fort peu, surtout pas des romans, il se complaisait aux divertissements politiques. Il avait consulté naguère le profitable Bréviaire des politiciens que le cardinal de Mazarin rédigea en latin et publia à Cologne en 1684. Le titre l’avait alléché puisqu’il se proposait de l’instruire sur le seul métier qu’il sentait à sa mesure, et qui n’était point réellement un métier sinon l’application de diverses recettes et roueries pour parvenir.
« Affecte un air modeste, candide, affable, lui soufflait le rusé cardinal. Feins une perpétuelle équanimité. Complimente, remercie, montre-toi disponible, même à l’égard de ceux qui n’ont rien fait pour le mériter.» M. de la Corrèze en fit son credo; il se souvenait d’une autre recommandation: «Méfie-toi des hommes de petite taille: ils sont butés et arrogants.» Il y devinait le portrait de son prédécesseur, Nicolas Ier, et décida à son inverse de présenter une image normale.”
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©Grasset
François Le Petit par Patrick Rambaud, Grasset, 180 p., 14,90 euros