Alors que l’attaque d’un commissariat parisien le 7 janvier par un individu armé d’une fausse ceinture d’explosifs et d’une feuille de boucher relativise fortement l’utilité de l’état d’urgence, un an jour pour jour après les attentats contre Charlie Hebdo et l’Hyper Casher de Vincennes, l’un des derniers décrets d’application relatifs à la loi sur le renseignement vient de sortir. Elle était censée tirer les enseignements des attentats de janvier 2015. Mais il a fallu les attentats du 13 novembre et 500 victimes de plus (dont 130 morts) pour que l’arsenal judiciaire censé empêcher que les carnages terroristes ne se reproduisent en France entre enfin en vigueur.
Le décret paru le 29 décembre donne naissance au FIJAIT (fichier judiciaire des auteurs d’infractions terroristes). On trouvera dans ce fichier, comme dans d’autres fichiers tenus par les juridictions françaises, le nom, prénom, sexe, date et lieu de naissance de la personne, sa ou ses nationalités, ses adresses successives, ses déplacements transfrontaliers, la décision ayant donné lieu à l’enregistrement, la nature des infractions, les dates et lieux des faits qui donnent lieu à l’enregistrement, etc
On constatera cependant que les délits de provocation et d’apologie du terrorisme ne donneront pas lieu à l’enregistrement au FIJAIT – sans doute parce que cela représente un nombre assez considérable d’infractions souvent faites par des jeunes délinquants qui manquent de jugeotte, et non de vrais terroristes. Cela dit, l’inscription au fichier pourra être décidée dès la mise en examen d’une personne, voire concerner une personne ayant bénéficié d’une décision d’irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental.
Une fois inscrite, la personne sera obligée « à titre de mesure de sûreté » de justifier de son adresse, déclarer ses changements d’adresse dans un délai maximal de 15 jours après ledit changement, mais aussi tout déplacement à l’étranger (ou en France, si elle réside à l’étranger, avec les dates, la destination du déplacement envisagé et l’adresse où se trouvera la personne pendant ce déplacement). Et cela pour dix ans s’il s’agit d’un majeur et cinq ans s’il s’agit d’un mineur, en cas de terrorisme. Les délais tombent à cinq et trois ans respectivement, en cas d’interdiction de sortie de territoire. Se soustraire à ces obligations de déclaration pourra valoir deux ans de prison et 30.000 € d’amende à la personne concernée. Le retrait des informations du fichier est prévu au bout de vingt ans s’il s’agit d’une personne majeure, dix ans s’il s’agit d’un mineur en cas de terrorisme, cinq ans et trois ans en cas d’interdiction de sortie de territoire.
L’accès au fichier est largement ouvert, notamment pour toute demande de recrutement, d’affectation, d’autorisation, d’agrément, d’habilitation, ou de renouvellement de tout emploi dans la fonction publique, de tout emploi auprès d’un opérateur d’importance vitale, dans une installation classée pour la protection de l’environnement dite SEVESO, ou concernant une activité ou une profession dans le domaine de la sécurité, de l’enseignement, ou des transports.
L’accès au fichier est aussi ouvert aux préfets, agents des préfectures (si habilités), la direction chargée de la gestion des ressources humaines du ministère chargé de l’éducation nationale et de l’enseignement supérieur, les rectorats, la direction de la protection judiciaire de la jeunesse et ses directions régionales, la direction de l’administration pénitentiaire et les directions interrégionales des services pénitentiaires, la direction générale de la gendarmerie nationale et la direction générale de la police nationale dans le cadre des enquêtes administratives dont elles ont la charge, la direction générale de la sécurité intérieure (services de renseignement intérieurs). L’inscription à ce fichier pourrait avoir comme conséquence de fermer les professions liées à la sécurité, à l’éducation, aux transports, ou qui s’exercent sur des sites sensibles.
La loi interdit enfin l’interconnexion de ce fichier avec ceux qui ne dépendent pas du ministère de la Justice (impôts, sécurité sociale etc.), ce qui risque cependant d’obérer l’efficacité du FIJAIT. Cependant la CNIL rappelle que « les dispositions transitoires de la loi du 24 juillet 2015 susvisée prévoient expressément que les recherches prévues peuvent se faire au moyen de traitements automatisés rapprochant l’identité de ces personnes avec les informations figurant dans les fichiers des organismes chargés de la gestion d’un régime obligatoire de sécurité sociale, dans le fichier des comptes bancaires de l’administration fiscale ou dans les fichiers de police judiciaire », à condition de lui être déclarées au préalable.
La CNIL craint par ailleurs dans son avis rendu le 3 décembre sur ce fichier qu’il ait le même talon d’Achille que bien d’autres : qu’il finisse par ne plus être à jour. La CNIL remarque ainsi : « le fait de prévoir des durées de conservation plus longues que les durées pendant lesquelles les personnes devront justifier de leur adresse, de leur déménagement ou de leur déplacement à l’étranger, était susceptible d’entraîner un défaut de mise à jour des données enregistrées dans le FIJAIT. »