Franck Brinsolaro, le policier qui protégeait un croqueur de flics!

Il était le garde du corps du patron de Charlie Hebdo. Un policier chargé de protéger un croqueur de flics… C’était le métier du brigadier Franck Brinsolaro, 49 ans, et il adorait son job, nous raconte sa femme. Il est mort près de Charb, mercredi, lors de l’attaque des tueurs.

Une semaine sur deux, Franck Brinsolaro accompagnait Charb dans toutes ses sorties : à la rédaction de Charlie Hebdo, chez ses amis, au restaurant. Partout. Il ne lâchait le dessinateur qu’à la porte de son appartement. Et cette mission périlleuse, le policier l’aimait particulièrement, nous confiaient hier ses proches.

Elle se déroulait à Paris, à une heure de train de sa maison, en Normandie, près de Bernay (Eure). En fin de semaine, après avoir rendu sa voiture du Service de la Protection (des hautes personnalités), au ministère de l’Intérieur, Franck partait retrouver sa femme, Ingrid, et leur fille May, 1 an. Il avait aussi un garçon de 25 ans, Kevin, né d’un premier mariage.

Les semaines sans Charb, il retapait leur maison du XVIIIe siècle, en pleine campagne. « Il venait de finir une cabane de jardin et démarrait le chantier de notre chambre », raconte sa femme.

Dans la majeure partie de sa carrière dans la police, commencée à 18 ans, le brigadier Brinsolaro avait plutôt bossé dans les coins dangereux de la planète, à protéger des « VIP », comme il disait. Bosnie, Liban, Afghanistan… Au milieu des années 2000, il avait été blessé par balles, en Afrique. « Il m’avait dit : ‘T’as entendu parler de cette affaire-là ? Eh bien, voilà la chemise’. Il y avait un trou dedans », raconte son grand ami Samuel Aulet, commerçant, qui hébergeait Franck, chez lui, près de Paris, les semaines où le policier était de garde. « Il ne disait rien de plus. Il était très discret, mais il avait de l’humour. »

Pas un baroudeur à gros muscles, façon dessin de Cabu. « Ce n’était pas un grand baraqué, mon mari, lâche Ingrid Brinsolaro, la voix tremblante d’émotion. Mais un gars bien taillé, de 1,76 m, fin, discret, jamais un mot plus haut que l’autre. Un homme courageux qui adorait son métier. Protéger les gens, il avait ça dans le sang. »

Ingrid, 38 ans, est rédactrice en chef de l’Éveil Normand, un hebdomadaire basé à Bernay. Franck l’avait épousée voilà trois ans, très vite après leur coup de foudre. Lui qui connaissait bien la dangerosité de son métier voulait « vivre les choses pleinement ». Son amour pour une journaliste était un autre motif d’attachement à sa mission auprès du patron-dessinateur de Charlie. « Même s’il n’était pas du tout politisé, Franck aimait l’actu, l’info, ajoute sa femme. Notre métier lui parlait… Et il est mort pour la liberté de la presse. »

Hier, à Marseille, c’est ce qu’a évoqué Philippe Brinsolaro, frère jumeau de Franck, policier lui aussi : « Il faut que la France entière se mobilise. On ne peut pas comme ça porter atteinte à la liberté d’expression, porter atteinte à l’autorité de l’État », a-t-il lâché, très ému, lors d’un hommage aux victimes, devant ses collègues de l’Hôtel de police de la ville.

Philippe et Franck ont grandi à Toulon. Leurs parents, d’origine italienne, y tenaient un magasin de cycles. L’un de leur grand-père, coureur professionnel, avait gagné une étape du Tour de France. Philippe est devenu capitaine de police, en Provence. Franck, repéré dès les premières années de travail, en banlieue parisienne, fut vite orienté vers la protection rapprochée, un service d’élite.

Ces dernières années, il avait été le garde du corps du juge antiterroriste Marc Trévidic. Puis de Joël Mergui, le président du Consistoire central israélite de Paris. Et de Charb, enfin. « Cette mission-là, il se serait bien vu la poursuivre jusqu’à sa retraite, dans cinq ans », confie Ingrid. L’ami Samuel raconte : « Il disait : ‘À Charlie, c’est du grand n’importe quoi, mais du n’importe quoi génial. À chaque info qui tombe, ils crayonnent et s’amusent comme des enfants’. »

Et puis, avec Charb, une estime réciproque était née. Ingrid : « C’était un peu le choc des cultures. Mais ils s’entendaient bien, mangeaient ensemble. » Ce qui est rarement le cas avec les « pingouins », surnom des VIP en costume-cravate. « Franck trouvait que Charb, bien que souvent habillé avec un treillis, était plus intelligent… »

Et pourtant, le garde du corps sentait venir la catastrophe. Après un dessin virulent de Charb en « Une » du journal, il avait lâché à Samuel : « Ça va péter un jour ou l’autre. » Et à sa femme : « Vu ce qu’il a sorti, faut pas qu’on le lâche d’une semelle. » Il ne l’a pas lâché.

« Le connaissant, je suis sûre que Franck a tout fait pour s’interposer devant le tueur », affirme Ingrid Brinsolaro, dont la voix s’étrangle, au téléphone. Elle marque un temps. « Vous savez, discret comme il était, Franck n’aurait sans doute pas aimé se retrouver dans un article. Mais je le fais pour qu’il reste une trace. Pour les enfants plus tard. Et parce qu’il n’y a pas eu que des dessinateurs célèbres qui sont tombés. D’autres gens aussi. “

Source

Related Articles