Présent
Par Caroline Parmentier
« Elégant », « chic », « accessible à tous publics ». Ce sont les appréciations qui reviennent le plus dans les critiques parisiennes sur le biopic de Jalil Lespert sur Yves Saint Laurent. Il faut avoir vu le réalisme des scènes de sexe homosexuel de ce film et des backrooms répétitives, lourdes, pour se dire que définitivement, on n’est pas du même monde que ces esthètes. La vie d’Adèle est manifestement passé par là. Ce premier avertissement méritant d’être précisé, le film passe en partie à côté de l’œuvre de Saint Laurent.
C’est davantage une historiette, un album d’images autorisées par Pierre Bergé qu’un film inspiré. L’acteur et réalisateur Jalil Lespert a eu l’aval de Pierre Bergé et donc accès aux archives de la Fondation Bergé-Saint Laurent, aux documents, aux robes, croquis, témoignages, contrairement à Bertrand Bonello dont le Saint Laurent sort en mai. Une guerre qui aura duré deux ans, entre un film (celui de Bonello) dont l’annonce a rendu fou de rage Pierre Bergé, qui n’avait pas été consulté au préalable et qui en riposte à un scénario qu’il n’avait pas lu (et pour cause, il était en train de s’écrire) a poussé de toutes ses forces un second projet, une historiographie officielle de sa vie aux côtés de Saint Laurent, réalisée par Lespert.
Le haut patronage de Bergé gêne plutôt le film aux entournures. Jalil Lespert a donné le beau rôle à Pierre Bergé (parfait de tendresse, d’abnégation, d’intelligence affairiste, sorte d’amant sacrificiel et admirable) tandis que Saint Laurent génie visionnaire, est impossible, maniaco-dépressif, nous explique-t-on. En effet montrer un homosexuel se laisser aller à une telle déchéance (racolage, cocaïne, alcool, débauche), est-il vraiment acceptable politiquement (correct) parlant, s’il n’est pas malade ? Il faut faire attention.
La révolution artistique et sociologique Saint Laurent se trouve comme noyée dans ce personnage toxico-maniaco-suicidaire auquel paradoxalement, il manque l’émotion. On ne retrouve pas le Saint Laurent dont l’unique regret fut de ne pas avoir inventé le jean, qui fait partie de notre vie et de notre garde-robe, pas sous sa griffe sauf pour les plus chanceuses d’entre nous, mais pour ses idées qui ont transformé l’esthétique féminin. La femme en caban, en trench-coat, en saharienne ou en tailleur-pantalon, c’est lui.
La première partie du film est la mieux, celle qui a un semblant de souffle : la fin de l’Algérie française qui a durablement meurtri Saint Laurent, l’arrivée dans la vénérable maison Dior, le licenciement puis le premier défilé seul, la création de sa propre maison à l’âge de 26 ans avec Pierre Bergé. La seconde partie jusqu’en 1976, n’a aucun intérêt. Un mauvais feuilleton télé. Etonnant Pierre Niney qui parvient à prendre les gestes, les tics, la voix et les intonations timides et précieuses de celui qu’il incarne, sans jamais être ridicule ni agaçant. Jalil Lespert voulait « deux acteurs de formation classique » pour mieux restituer le langage particulier de l’époque et des personnages, le phrasé de Saint Laurent en particulier. C’est réussi. Ces deux sociétaires de la comédie française que sont Guillaume Gallienne et Pierre Niney font la différence avec les habituels zozos du cinéma hexagonal. On les écoute avec plaisir, c’est même souvent un régal. Dommage que le film ne soit jamais vraiment à la hauteur de leur grand talent.