Par Charles Chaleyat
L’art des cavernes (ou art pariétal) est plus connu que l’art dit ‘mobilier’ (bois, ivoires, os, gravés ou sculptés) et l’art sur bloc, parce que plus monumental. Il est mondialement admiré au point de conduire les responsables de notre patrimoine à le protéger – à Lascaux ou à la grotte Chauvet par exemple et à juste titre – de visiteurs trop nombreux. C’est un art naturaliste-réaliste, jamais schématique et, de plus, fort expressionniste puisque le simple dessin d’un dos suffit à définir l’animal. Il est associé à des créatures fantastiques mal dessinées et à des signes abstraits. Il couvre 30 000 ans de l’Espagne à l’Oural, millénaires au cours desquels il varie peu, suivant de toute évidence quelques principes qui le caractérisent entre tous les arts préhistoriques – son canon en quelque sorte.
Il est quasi sûr que cette constance – à travers quelques variations stylistiques – traduit une vision collective du monde, une Weltanschauung qu’André Leroi-Gourhan, dans un livre superbe* sur ce qu’il appela des sanctuaires, proposa d’expliquer selon une vision sexuée du monde, à partir de la distribution des animaux et des signes sur les parois et de l’art mobilier. Une autre explication fondée elle, d’abord sur l’iconographie des parois, a été avancée plus récemment par Alain Testart, à partir d’observations différentes.
Les animaux sont représentés sans le milieu qu’ils occupent, qu’ils soient affrontés (mammouth et cheval), en troupeau ou couchés (par ex., le sol n’est pas dessiné). Ils ne sont jamais en train de se battre ni d’être confrontés aux hommes qui ne sont quasiment jamais représentés. C’est semble-t-il donc l’espèce qui compte.
Les rassemblements d’animaux ne racontent rien si ce n’est un galop, un regard fixe ou l’affrontement de deux mâles. Ce sont des ‘scènes de la vie quotidienne’, pas une narration. Ce n’est donc pas une mythologie.
La composition des représentations animales suit des règles précises. Les animaux de même espèce lorsqu’ils sont juxtaposés sont majoritairement affrontés, en translation, en combinaison des deux ou ‘en éventail’ (par ex. : les quatre têtes de chevaux de la grotte Chauvet). Les animaux d’espèces différentes ne sont pas organisés ainsi et il semble que chaque espèce est chacune dans un espace représentationel différent. Ces espaces différents se recoupent (se chevauchent, s’enchevêtrent, dans des sens différents) dans des tableaux où ils n’ont aucune relation, chacun isolé dans son espèce. L’homme est absent des parois et les dessins qui le suggèrent sont des ‘monstres’, des thérianthropes ou des hommes bestialisés ou encore des schémas. Quel contraste avec le monde animal si merveilleusement représenté !
En résumé, cette pensée, d’où l’homme qui la porte est absent, exprime sous la forme de métaphores (comme ces fables où jouent les animaux) une classification de différences en catégories distinctes parallèles aux espèces animales. C’est la définition même du totémisme sauf que concernant ces sociétés si lointaines on ne peut que conjecturer qu’elle reflète des divisions sociales sans pouvoir les préciser (clans, sections, générations, ou genres). Elle s’appuie sur un conception mythique du temps, connue chez les Aborigènes, qui décrit l’apparition de l’homme selon plusieurs étapes, depuis un état indifférencié jusqu’à celui de complète différenciation hommes/animaux en passant par une période où animaux et humains sont encore identiques (temps des mythes). Nous avons, conclut Testart**, dans cet art pariétal du paléolithique supérieur, les traces de cette période où les hommes se différenciaient mal des animaux.
* Préhistoire de l’art occidental. Mazenod, Paris.1965.
* * Avant l’histoire. Gallimard, Paris. 2012.