La crise des Rohingyas — ou plutôt sa présentation systématiquement biaisée par la « Communauté internationale » et les médias du même tonneau faisant de ces musulmans de la Birmanie orientale les héritiers des Bantous naguère victimes de l’abominable apartheid ou de la fantomatique « opposition syrienne » persécutée par le clan Assad — n’est pas une terra incognita pour les familiers du site Polémia. En septembre 2017, je m’interrogeais sur le tintamarre ambiant, en cruel contraste avec le silence assourdissant observé quelques décennies plus tôt sur la répression tout aussi musclée de l’irrédentisme karen par le régime de Rangoon, et le chercheur en géopolitique Philippe Raggi posait excellemment le problème sous le titre « Rohingyas : idéologies et approche victimaire », celle-ci imposée à l’ensemble de la planète par le couple infernal islamisme-mondialisme.
C’est au tour de Didier Treutenaere, philosophe et spécialiste des textes bouddhistes, d’aborder aujourd’hui la question dans son étude Rohingyas, de la fable à la réalité. Livre de réinformation précieux car il tombe à point. Les atrocités commises par l’Etat islamique en Syrie et les ennuis du prince héritier séoudien Mohamed ben Salman embringué dans le sordide assassinat d’un de ses compatriotes, le dissident Kashoggi, au sein même du consulat séoudien à Istanbul, semblent en effet avoir rendu nécessaire, aux yeux des forces de la désinformation, un nouveau coup de projecteur sur « Les Rohingyas, damnés de la Birmanie » — titre d’un documentaire de Nicolas Bertrand tourné pour France 2 et tout récemment primé au festival de Bayeux, dont Paris-Match vient de faire ses choux gras. « Le poids des mots, le choc des photos »… pour mieux faire passer la « la fable ».
Une désinformation systématique
Mais il y a « la réalité », que rétablit Didier Treutenaere.
A savoir que ce groupe ethnique, transplanté par les colonisateurs britanniques de Chittagong dans l’actuel Bangladesh en terre birmane après 1826, n’a jamais, en près de deux siècles, tenté de s’intégrer : il continue de parler bengali, a gardé sa foi en Mahomet et ses coutumes ancestrales (héritées, soit dit en passant, d’une autre colonisation, celle des Moghols envahisseurs de l’Inde au XVIe siècle) et son cœur reste dans le populeux Bangladesh (170 millions d’habitants contre 55 pour la Birmanie) auquel, plus grave encore, ses leaders indépendantistes, souvent formés par les services pakistanais, réclament le rattachement .
A savoir aussi que, depuis les années 70 de l’autre siècle, l’Asie du sud-est, où des marins et négociants arabes avaient établi des comptoirs dès le IXème siècle et y diffusaient le Coran, est devenue terre de mission pour le richissime islam wahhabite : les Philippines christianisées ont été durement touchées par les exactions et la violence armée du Front Moro islamique de libération de libération nationale à partir de l’île de Mindanao (où certains chefs insurgés firent allégeance à l’Etat islamique en juillet 2014). Et, dans la province sudiste de Pattani, contiguë à la Malaisie d’où proviennent armes et matériel de propagande, l’armée thaïlandaise est mobilisée contre la rébellion musulmane. Sans oublier les flambées de violence islamique en Inde ni l’insurrection ouïgoure au Sinkiang (ex-Turkestan oriental), réprimée dans le sang par Pékin sans que, cette fois, les belles consciences s’en préoccupent trop. En commençant par le pape François qui, lors de son audience hebdomadaire du 8 février 2017, invita à « prier Notre Père qui est aux cieux pour nos frères et sœurs rohingyas […], des gens bien, pacifiques […] torturés et tués simplement parce qu’ils veulent vivre selon leurs coutumes et leur foi musulmanes ».
Commentaire de Didier Treutenaere : « Tout est donc effacé par le simple adverbe simplement : le lourd poids de l’histoire de l’Arakan, le parti pris des Bengalis musulmans contre l’indépendance [obtenue des Anglais après la Seconde Guerre mondiale], l’épuration ethnique menée contre les Arakanais de souche, les hindous et les tribus montagnardes dans les zones à majorité bengalie, les provocations terroristes, le projet djihadiste ; seule subsiste l’image propagandiste de musulmans persécutés en raison de leur foi. » Et notre auteur de donner maintes preuves des fake news et des documents truqués véhiculés par cette propagande victimaire : photo de la bouddhiste Ma Thida Htwe violée et sexuellement mutilée puis égorgée par trois musulmans publiée par un journal du Bangladesh comme celle d’une « femme rohingya violée par l’armée birmane » et reprise par toute la presse occidentale. Celle de soldats birman tentant d’éteindre un incendie dans un village attaqués par les rebelles mais présentée (y compris dans Le Parisien) comme celle d’un incendie perpétré par l’armée birmane, les pompes à eau utilisées étant censées projeter… de l’essence ! Plus fort encore : après un violent tremblement de terre survenu en 2012 dans la province de Quihai en Chine, des moines tibétains prirent en charge la crémation des morts. Or, « la photo est reprise depuis 2016 par les propagandistes musulmans pour illustrer les massacres qui seraient commis par les moines bouddhistes au Myanmar ».
Enjeux économiques et stratégiques
Pourquoi donc cette subite hystérisation du problème rohingya et ces accusations de génocide lancées par des médias, des ONG et, le 24 octobre encore par certaines agences onusiennes ? Et à qui profiterait la déstabilisation de la Birmanie ?
Les enjeux dont d’abord économiques et stratégiques. D’une part, très ancien producteur de pétrole, le pays se situe aussi, à l’heure actuelle, au cinquième rang pour ce qui est des ressources de gaz, dont sont très demandeurs l’Inde et la Chine aux besoins énergétiques croissants. La première cherche désespérément à « mettre fin à son hyper-dépendance aux hydrocarbures du Golfe arabe », la seconde — tout aussi gourmande — envisage la construction d’un gazoduc la reliant au Myanmar où elle souhaite en outre disposer d’un port en eau profonde, ce qui lui éviterait de contourner toute l’Asie du sud-est et, surtout, le très dangereux détroit de Malacca où grouillent les pirates. Or, estime notre auteur, « quand la puissance de la Chine est en jeu, les Etats-Unis s’efforcent de la contrer : par tous les moyens, y compris peut-être par une déstabilisation instrumentalisant le djihadisme, comme ils le firent en Afghanistan pour contrer la présence russe, et comme ils le font en Syrie pour contrer les intérêts iraniens ». Avec l’appui des Etats pétroliers du Golfe, alliés des Etats-Unis, et qui ont tout intérêts eux aussi à affaiblir le concurrent birman.
Un clergé défenseur de l’identité nationale
Pour ce dernier, il est vital de préserver ses exportations, mais plus encore de défendre son identité, dont le bouddhisme est la pierre angulaire. Tout autant que les soldats, et de même qu’à la fin de l’autre siècle au Sri-Lanka contre les « Tigres » tamouls (et dravidiens, alors que les Ceylanais de souche arrivèrent du nord de l’Inde sous l’empereur Ashoka), les moines sont en première ligne contre l’indépendance des districts à majorité rohingya car un tel processus pourrait vite de révéler contagieux à l’intérieur de la Birmanie, par exemple dans le turbulent Etat Shan, à forte minorité musulmane.
A notre époque où, percluses de culpabilité, les Eglises chrétiennes n’ont de considération que pour l’autre, portât-il le cimeterre et lakalashnikov entre les dents, la mobilisation des bouddhistes peut apparaître aussi rétrograde qu’incompréhensible et d’autant plus que l’Occident ne veut voir en Bouddha qu’un précurseur des droits de l’homme et dans son enseignement qu’une « spiritualité de substitution, compatible à la fois avec la laïcité et le mondialisme », comme le dit Didier Treutenaere. Encore une « fable » qu’il était bon de démonter : au Myanmar comme dans l’ex-Siam, dans notre ex-Indochine et à Ceylan, les bonzes sont nationalistes et combatifs. On ne les en admirait que plus quand, à l’époque de la guerre du Vietnam, ils s’opposaient à l’Oncle Sam. Au nom de quoi leur reprocher aujourd’hui de vouloir faire échec à l’offensive islamiste ?
Camille Galic – Polémia
Rohingyas, de la fable à la réalité, Didier Treutenaere, 160 pages avec bibliographie, cartes et photos, 19,90 €. Soukha éditions 2018, www.editions-soukha.fr