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Le titre “François parmi les loups” renvoie à saint François d’Assise, modèle proclamé du pape François. Saint François a dialogué avec des loups, dont un domestiqué, surnommé « Frère Loup » par le fondateur des Franciscains – chose improbable pour qui connaît ces animaux, surtout lorsqu’ils ont atteint l’âge adulte. Tout en jouant sur ce renvoi évident et sur l’allusion à la déclaration de Benoît XVI lors de sa messe d’intronisation, l’auteur se situe plutôt au niveau de l’expression courante : des loups, animaux sauvages, dangereux, surtout en groupe, risqueraient de dévorer le gentil pape François.
Marco Politi, journaliste spécialisé, vaticaniste bien informé, progressiste lui-même, reconnaît une forme de frère moderniste en la personne du pape François, et s’inquiète de son destin : il pourrait être renversé, forcé à la démission, sur le modèle du précédent de Benoît XVI, ou invité à se taire, à cesser toutes les déclarations surprenantes qui distillent le fond de sa pensée. Marco Politi a déjà montré par le passé une excellence connaissance du Vatican. Il est connu pour avoir prévu la démission de Benoît XVI. Il dispose visiblement d’informations provenant de nombreux cardinaux, d’où l’exposé de « secrets » qui auraient dû le rester, comme les scrutins élisant le pape, ou, moins scandaleux, la description des coulisses en général, dont celles du controversé Synode sur la Famille d’octobre 2014. A ce sujet, il a démontré pour le moins la claire complicité du pape François avec les novateurs les plus avancés. Le pape François peut être rattaché au courant progressiste, qui, sans définition claire ou exclusive par principe, veut promouvoir dans l’Eglise le « Progrès », ou supposé tel, selon les définitions du monde ; il peut se comprendre surtout par ce qu’il rejette, l’Eglise catholique médiévale, épouvantail absolu dans son esprit. Point de vue ecclésiologique radical que l’on avouera ne partager en aucune manière. L’ouvrage comporte deux dimensions, mêlées au fil des chapitres : une bonne analyse de la pensée et l’action du pape François, doublée d’un soutien affiché contre les « loups », puis une liste d’exigences transmise aux autorités de l’Eglise, que l’auteur estime toujours timorées, même sous ce pontife original.
Marco Politi, en apparence du moins, aime beaucoup le pape François. Il détestait Jean-Paul II et plus encore Benoît XVI, qualifiés de « conservateurs rigides », voire de « rétrogrades », termes polémiques impropres. Ces deux pontifes ont maintenu fermement les enseignements moraux de l’Eglise, ou la discipline occidentale traditionnelle sur le célibat des prêtres. Non, les divorcés remariés civilement, après un premier mariage valide à l’Eglise, ne peuvent plus communier. Non, il est hors de question de bénir des couples homosexuels, aux pratiques condamnées par le catéchisme, et d’ailleurs par la morale universelle, même païenne, du Gabon au Japon, encore aujourd’hui. Fondamentalement Jean-Paul II et Benoît XVI étaient des libéraux, libéraux-conservateurs au plus. François est différent, appartenant à une gauche assumée, favorable à une modification des pratiques, sinon des structures de l’Eglise, en un sens collégial et démocratique, ou supposé tel. Les minorités activistes se manifestent beaucoup plus que la majorité silencieuse, ou indifférente ou hostile. On peut rattacher François au progressisme, avec une proximité, qui n’est pas synonyme de stricte adhésion, avec la théologie de la libération. Ce progressisme pontifical reste modéré, croyant encore en une forme de transcendance, de morale. Tel n’est pas le cas du journaliste, très avancé.
Contrairement à ses prédécesseurs, avec le pape François, tout devient plus flou en ces matières de mœurs. Il y aurait un refus de « juger » les couples homosexuels. Si le pontife romain n’est pas le Christ, le seul Juge Suprême au jour du Jugement dernier, il en est le lieu-tenant qui doit rappeler la morale catholique, surtout à notre époque de si grande confusion en Europe ou en Amérique. Marco Politi comprend parfaitement le jeu de toutes les petites déclarations du pape François, certes non magistérielles, et qui ne prétendent pas l’être, mais qui posent régulièrement des jalons indiquant sa pensée profonde. Dans les matières sexuelles, comme en d’autres, le seul juge serait la conscience individuelle. Or la conscience est pervertie depuis le péché originel, et l’est assez systématiquement dans les sociétés occidentales ou occidentalisées depuis les années 1970, ou le Bien et le mal sont tout simplement inversés. Ainsi, défendre les bonnes mœurs serait mal, manifestation d’homophobie… De même avorter, c’est-à-dire tuer un enfant à naître, ne serait pas un meurtre pur et simple, ni même une action regrettable compréhensible en des situations particulières aussi rares que possible, mais tout simplement un bien, le libre exercice du droit des femmes… Sur ces sujets essentiels, le pape François est tout simplement silencieux.
Marco Politi interprète ce silence comme un acquiescement tacite à l’antimorale dominante, qu’il partage lui explicitement et sans réserve. Se trompe-t-il ? Certes, l’avortement demeure un meurtre pour l’Eglise, mais son pardon sans réserve ou conditions strictes lors du « jubilé de la miséricorde », pour l’année sainte exceptionnelle 2015-2016 affaiblit le discours traditionnel.
Toutefois, le pape François célèbre encore la Messe tous les jours. Il tient à une distribution régulière des sacrements selon les normes fixées après Vatican II, et ne tolère ni ne promeut n’importe quoi. Son discours, bien analysé, ne vise pas à modifier frontalement la doctrine catholique, et n’avoue pas le faire, ce qui déchaînerait des oppositions virulentes, mais à laisser chaque individu libre face à sa conscience, supposée infaillible. Si un divorcé-remarié s’estimait non coupable, il pourrait agir à sa guise, sans que la discipline soit pour autant changée.
Cet art des sous-entendus, des demi-mesures, s’il reçoit du fait de sa démarche progressiste le soutien de Marco Politi, est cependant loin de le satisfaire. Déjà, il ne faudrait plus excommunier personne, sauf les « partisans de Mgr Lefebvre », formule floue et très extensive. Pas de liberté pour les ennemis de la liberté, ou supposée telle, selon la célèbre formule du révolutionnaire Saint-Just. Le progressiste avancé se montre méprisant et d’une agressivité sans concession avec ses adversaires. Il pratique les amalgames les plus faciles, faux et détestables : les loups sont les traditionnalistes, les mafieux, les pédophiles… Tous sont dans le même sac pour le progressiste, qui reproche au pape François une « mollesse » contre les premiers, qui sont pourtant à l’opposé des prêtres vicieux indignes.
Marco Politi réclame de grandes décisions magistérielles explicites autorisant les divorces et remariages à l’église, les pratiques homosexuelles et mariage des homosexuels à l’église, la libération totale de la sexualité, la fin de tous les interdits sur la contraception, ou l’avortement, etc. Il reprend les refrains connus et répétés depuis les années 1970 appelant à sortir l’Eglise du « Moyen-Age », qui serait l’âge des ténèbres par excellence, et qui aurait inventé toute la doctrine « répressive » de l’Eglise. Rien n’est plus faux historiquement. Le Moyen-Age européen a été certainement moins barbare que notre époque, qui se barbarise en outre chaque jour davantage, avec l’euthanasie après l’avortement. Quant aux chrétiens des premiers siècles de notre ère, ils n’étaient certainement pas de joyeux jouisseurs, mais des convertis sincères et profonds, au milieu d’un cadre culturel païen peu édifiant mais pourtant moins corrompu que notre époque.
Le journaliste militant qui prétend enseigner François propose, outre ces réclamations, certains modèles de communautés chrétiennes suivant sa fantaisie. Ils font absolument frémir. Le pire est qu’ils existent déjà, se prétendent « catholiques », et ne sont guère – ou mollement – dénoncés par la hiérarchie officielle. Ainsi, est évoquée une expérience suisse de « curé » féminin : il s’agit d’une confusion lexicale volontaire, mais qui peut prendre chez des esprits déjà confus ; une femme dirige une paroisse, ce qui lui conférerait un rôle de diaconesse sans le titre – qui n’existe pas – et certainement pas de prêtresse. Dans cette ecclésiologie archi-hérétique, n’ayons pas peur des mots, car c’est là pire que les thèses historiques de Luther ou même Calvin, le prêtre, ou la prêtresse, ne serait qu’un animateur élu d’un groupe de prières, dirigeant des célébrations imitant vaguement la messe. Un autre exemple, celui d’une communauté dissidente romaine, dite « Saint-Paul », qui prétend célébrer une « messe » animée par deux prêtresses, singeant les gestes liturgiques, suivant le Missel de Paul VI appauvri, et distribuant du pain et du vin à toute la communauté ; elles ne prétendent d’ailleurs pas que ces espèces soient rien d’autre que du pain et du vin, bénis par elles-mêmes et toute la communauté.
De telles horreurs, pour tout catholique authentique croyant au message du Christ et de l’Eglise, sont exposées sans vergogne aucune. Et c’est là un des points les plus intéressants du livre. Où les progressistes veulent-ils donc en venir ? Au moins, les choses sont dites. Il est heureusement douteux que le pape François soit animé de l’envie de mener une telle Révolution, qui serait ni plus ni moins qu’une tentative de destruction de l’Eglise catholique, chose envisageable à vue humaine mais impossible pour le croyant du fait des promesses divines : « Les Portes de l’Enfer ne prévaudront pas contre elle », a promis Jésus-Christ.
Le flou et l’ouverture du pape François permettent cependant à de telles hérésies de s’exprimer franchement, au sein même de l’Eglise, avec guère de risque pour leurs auteurs. Les fidèles, qui dans leur grande masse n’ont au mieux bénéficié que d’une catéchèse « décathéinée », sont aujourd’hui des plus vulnérables face à ces discours parfaitement dans l’air du temps et qui peuvent compter sur les grands médias désinformateurs, ravis, pour diffuser leurs thèses. Le bon berger ne doit pas livrer les brebis aux loups, les vrais.
Marco Politi, “François parmi les loups”, Editions Philippe Rey, 2015, 18 €