William Morris, socialiste de guildes!

Redécouvrir William Morris
Deux articles récents, l’un publié par la revue Eléments sous l’excellente plume d’Olivier François, le second dans le double numéro estival de La Décroissance consacré aux précurseurs du mouvement du même nom, ont remis à l’honneur la figure oubliée et profondément méconnue en France du socialiste anglais William Morris (1834-1896).

Un précurseur du socialisme de guildes
Dire de Morris qu’il fût socialiste anglais, c’est dire peu de chose et en même temps beaucoup. Commençons par rappeler que Morris n’a rien de commun avec le socialisme marxiste traditionnel. Que sa pensée se poste, par ailleurs, comme l’ennemie totale de la gauche libérale-libertaire qui, en différents pays d’Europe, avance sous le drapeau du « socialisme » ou de la social-démocratie. Morris est l’apôtre de ce que l’on a nommé assez heureusement le socialisme de guildes. Un socialisme médiéval en somme, qui n’a pour objectif que de lutter contre la laideur du capitalisme industriel et la domination croissante du tout-profit, du tout-économique sur toutes les autres considérations (spirituelles, culturelles, familiales et esthétiques) qui constituaient autrefois la quête d’une vie heureuse et saine. Ce n’est donc nullement un socialisme productiviste, matérialiste et étatiste qui traverse la pensée et les œuvres de Morris. Mais bien plutôt la recherche d’une harmonie entre l’homme et son travail, la limitation du pouvoir de l’argent et la préservation du beau, du durable et du sain. Nous sommes ici très proches des préoccupations de G.K. Chesterton, que l’inlassable travail de Philippe Maxence contribue chaque jour à mieux faire connaître en France.

Le rêve de Morris était que « l’ouvrier redevînt quelque peu l’artisan qu’il était jadis, s’affranchît de l’automatisme auquel le condamne la machine et que, le plus possible et le plus souvent possible, il fît œuvre d’art, s’intéressât à son travail en y contribuant davantage, l’aimât comme son père aime son enfant, comme tout créateur aime son œuvre. (…) Que le travail fût une joie et non une fatigue, non un écrasement qui brise l’homme, un acte machinal qui le diminue, qui souvent le dégrade ».

Rendre accessible l’art et le beau au plus grand nombre
Esprit pratique, profondément porté par sa culture chrétienne et son goût du beau, Morris ne se contenta pas d’être un poète d’une grande pureté, un traducteur de haut rang qui se pencha aussi bien sur l’Enéide que sur l’Odyssée ou les chansons de gestes françaises, il voulut que ses préoccupations esthétiques pussent investir le réel et fussent accessibles au plus grand nombre. Entouré de plusieurs artistes, il fonda la manufacture Morris, Marshal, Faulkner and Co en 1861. Porté par l’idée et la volonté que « l’art, le beau, entrassent, comme la lumière du ciel ou l’air pur, aussi bien dans la demeure la plus humble, dans celle de l’artisan et du paysan, que dans la maison du riche », il développa en de nombreuses directions son incroyable énergie créatrice. S’inspirant de l’antique mobilier paysan anglais mais aussi normand, il fabriqua des meubles robustes, harmonieux. Il produisit également des faïences émaillées, des papiers peints, des tapisseries d’inspiration médiévale. Frappé par la laideur des livres modernes, il créa son imprimerie, la Kelmscott Press, et rendit ses lettres de noblesse à l’art typographique, tout en faisant renaître la gravure sur bois.

Un courant de pensée en plein essor
Que des revues en apparence aussi éloignées qu’Eléments et La Décroissance se penchent, à quelques semaines d’intervalle, sur la personnalité de Morris, en dit long sur le chamboulement intellectuel que nous vivons actuellement. Les fausses barrières de chapelles, les digues idéologiques les plus stériles tombent. Le règne de l’argent-roi, l’emballement technologique et les conséquences de plus en plus évidentes et nombreuses de la religion de la croissance conduisent de plus en plus de personnes à une critique de la modernité et à la conversion concrète de leurs modes de vie. La recherche d’une nourriture saine, le refus de succomber aux injonctions des publicitaires de consommer à tout-va, la volonté de préserver la beauté de nos paysages et de notre architecture traditionnelle ne concernent plus seulement les milieux écologistes et trop facilement étiquetés « bobos ». Les catholiques de tradition et les enfants de l’affreux camp « réactionnaire » se souviennent de plus en plus qu’ils sont fils de Bernanos, de Thibon, de Weil, de Giono et de Péguy. Baignés par les leçons d’amour de la nature « œuvre de Dieu », d’ascétisme et de simplicité du scoutisme, ils sont nombreux à privilégier désormais les circuits courts pour les courses familiales, à s’éloigner de la laideur urbaine pour retrouver la tranquillité de nos campagnes et à transmettre à leurs enfants les joies concrètes du chant, de la couture, du maraîchage ou du dessin à des enfants encore éloignés de l’intoxication technologique et virtuelle.

Il n’est pas difficile de comprendre tout ce qui dans l’œuvre (littéraire et pratique) de Morris entre en résonnance avec les préoccupations chrétiennes. Pour s’en convaincre, il suffit de pousser la porte d’un monastère bénédictin. Tout y parle de Dieu, certes, et cela est premier. Mais tout y parle aussi de la juste place du travail dans la vie de l’homme. Tout y parle du « bel ouvrage » et du bon usage de la Création. Tout, dans les chants et dans les livres, dans les vitraux et dans le tissu des bures, dans la pierre et dans le bois, nous parle de ce qui est beau et durable.

Lu dans Présent

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