Isabelle Prêtre, que la quatrième de couverture nous présente simplement comme « écrivain, philosophe et psychologue », est probablement aussi enseignante. Elle a en tous cas une vocation pédagogique évidente. Au début du chapitre intitulé « Le but des philosophes », elle s’adresse d’ailleurs explicitement à des candidats à quelque concours, qui auront à rédiger un commentaire de texte. Elle qui, en 2012, a publié Rater sa vie, mode d’emploi (Éditions Saint-Augustin), et publie en 2016 des leçons pour réussir sa vie, s’adresse évidemment à des jeunes qui ne sont pas complètement ignorants en philosophie, au moins capables de distinguer Kant de Platon.
Synthèse entre la science et la foi
Mais que signifie « réussir sa vie » ? Se conformer aux Dix Commandements et s’inspirer des Béatitudes ? Choisir un bon métier ? Se marier ou ne pas se marier ? Avoir des enfants ou ne pas en avoir ? Trouver le moyen de « gagner sa vie » suffisamment pour « avoir de quoi vivre » ? Isabelle Prêtre ne répond à aucune de ces questions.
N’aurait-il pas été pertinent d’y répondre, puisque leur implication est également philosophique ? Ces questions auraient au moins le mérite de relever du « double regard » que l’auteur apprécie tant chez les philosophes, qui, comme Bergson et Bachelard, savent faire la synthèse entre la science et la foi, l’esprit et la matière, la raison et le rêve.
Son chapitre « Autrui » aurait été le lieu idéal pour les aborder. Elle y traite le sujet de nos relations avec notre entourage, selon elle seulement fondées sur le conflit ou sur l’amour, à tel point qu’elle nous fait passer de « L’enfer, c’est les autres » sartrien au « personnalisme » anti-individualiste d’Emmanuel Mounier. Elle évoque également les sublimes considérations de Levinas, pour qui le visage d’une personne révèle sa transcendance , mais aussi la morale kantienne, d’après laquelle un être humain ne doit jamais être traité comme un moyen mais comme une fin.
Deux grands absents : Aristote et Thomas d’Aquin
Il y a cependant des grands absents dans ce livre. Manquent à ce répertoire Aristote et son animal politique, ainsi que son disciple Thomas d’Aquin – alors même que Platon y est en bonne place. L’écrivain cite Hobbes – « L’homme est un loup pour l’homme » – et s’en indigne. La comparaison avec le loup est pourtant intéressante : les loups vivent en meute comme les hommes en société, conduite par un mâle dominant qui a conquis sa place après une grande lutte contre ses concurrents, de même que les élèves de prépa – à qui le livre s’adresse, rappelons-le – se battent pour la réussite de leur concours.
Les conseils les plus importants d’Isabelle Prêtre se trouvent finalement dans son dernier chapitre intitulé « Dieu, la vie, la mort ». Ne vous laissez pas égarer, désespérer par les philosophies modernes fondées sur l’athéisme, Dieu n’est en rien démodé. Croyez que Dieu nous a créés, nous aime et nous appelle à une destinée surnaturelle. La vie est mouvement, comme l’ont bien compris Bergson et Teilhard de Chardin, vivez en avançant, éclairez les autres, ne craignez pas la vieillesse ni la mort, soyez conscients de l’importance de votre inconscient et de ses apports avec votre raison, cela vous aidera à réguler vos passions et vos désirs. Ne faites pas à autrui ce que vous ne voudriez pas que l’on vous fasse, votre prochain est une personne comme vous, aimée de Dieu avec sa transcendance et ses secrets qu’il faut respecter.
Aimez-le comme vous-même et même plus que vous-même. Tenez à votre liberté bien comprise, qui fonde votre dignité, soyez bien conscients du pouvoir des mots, ne vous privez pas de la joie que peuvent vous donner les œuvres des grands artistes. Et puis, lisez les grands philosophes, conversez avec ces gens supérieurement intelligents qui vous font profiter de leur expérience, vous apprennent à penser par vous-même – c’est la condition de votre liberté. Voilà tout l’apport positif des Onze leçons de philosophie pour réussir sa vie.
Onze leçons de philosophie pour réussir sa vie d’Isabelle Prêtre. Éditions Salvator, 265 pages, 20 euros.