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Interloqué devant la splendeur du lieu, l’écrivain et diplomate français, Elie Faure, écrivait jadis à propos de Borobudur : « C’est d’ailleurs au moment de la grande époque bouddhiste que la sculpture hindoue changea la forme des montagnes ». On le comprend lorsqu’on est arrivé au stade le plus élevé de cette immense montagne sacrée forgée par les humains. Plus grand monument bouddhiste au monde, Borobudur est aussi le site touristique le plus visité de l’archipel indonésien. Cerné par de redoutables et redoutés volcans, le « parc archéologique » se situe dans la plaine fertile et sacrée de Kedu, à Magelang, à 42 km de la ville de Yogyakarta, « capitale culturelle » de l’île de Java sinon de l’Indonésie tout entière.
Mêlant sur plusieurs niveaux une imposante architecture et une finesse dans la sculpture des 1460 bas-reliefs retraçant les multiples vies de Bouddha, le site prestigieux de Borobudur est un sanctuaire unique en Indonésie. Mesurant 113 mètres de côté, le monument prend la forme d’un immense mandala, symbolisant le cosmos. La construction de ce stupa – et non pas un véritable « temple », car nulle image d’un dieu ici – s’est étalée sur un siècle, entre 750 et 850, sous le règne de la dynastie bouddhiste Sailendra. Il semble que le nom de Borobudur dérive du sanscrit « vihara Buddha uhr » qui signifie « le monastère bouddhique sur la colline ».
Le dit temple (même si c’en n’est pas !), ainsi que d’autres monuments sacrés, ont été abandonnés au début du XIème siècle, du fait de la situation politique dans la partie centrale de Java. Le monument est resté caché pendant des siècles sous des cendres volcaniques dans la jungle après une éruption volcanique. L’influence indienne est évidente et le monument voisine avec les centres cultuels hindouistes de Dieng et de Prambanan. Taillé dans l’andésite, idéalement situé, non loin de Borobudur s’unissent les rivières Progo et Elo en un lieu mythique qui rappelle le confluent sacré en Inde, entre Gange et Yamuna, le site est bordé par plusieurs volcans, notamment le Merapi, aussi vénéré que craint par les autochtones. En dépit des travaux des archéologues et de la reconnaissance internationale issue de l’inscription à l’Unesco, Borobudur demeure l’un des monuments les plus mystérieux de l’art bouddhique. Différentes hypothèses qui doivent plus à la légende qu’à l’histoire sont avancées : monastère de la ville sainte de Bouddha, montagne divine de l’accumulation des vertus…
Le sanctuaire figure donc un mandala géant représentant le cosmos selon la philosophie du bouddhisme du Grand Véhicule, et telle une prière gravée dans la pierre, son ascension est supposée guider le pèlerin dans son cheminement vers la délivrance (nirvana). Le plan pyramidal du stupa se décline en neuf terrasses (cinq de plan carré et quatre de plan circulaire), et quatre immenses escaliers – aux portiques finement sculptés – permettent d’accéder au sommet. Au cours de l’escalade, d’impressionnantes gargouilles, en forme de monstres (makara) sculptés, supervisent le bon déroulement de l’ascension. Partout, c’est une débauche de motifs – floraux, divins, matériels et humains – dont le foisonnement est tel qu’il donne le tournis à tout être qui circule au cœur du mandala ! Prendre son temps dans la montée favorise à coup sûr l’élévation spirituelle.
A la base, le visiteur-pèlerin emprunte le parcours de circumambulation rituelle en fixant de son regard les galeries avec leurs panneaux qui se déroulent comme une gigantesque bande dessinée ouverte, solidement fixée au mur-parapet ! « Monde du désir », le premier niveau (khamadhatu), rappelle l’existence terrestre, son lot de malheurs et de tentations. On passe ensuite aux quatre terrasses carrées – le « Monde des formes (rupadhatu) » – où la vie du Bouddha historique s’étale en long et en large sur les murs. 432 niches, la plupart vides suite à des actes de vandalisme, abritaient des statues de l’Illuminé. Seulement gêné par la chaleur ambiante, on peut passer des heures à admirer les superbes bas-reliefs récapitulant les étapes de sa vie, celle des bodhisattvas ou encore la formidable quête de sagesse de Sudhana. Cette galerie à ciel ouvert est longue de plus de cinq kilomètres ! Il est à noter que ces bas-reliefs narratifs et décoratifs racontent également la vie quotidienne à Java au IXème siècle, avec un riche corpus ethnographique à la clé.
L’ensemble s’étage harmonieusement sur trois niveaux. Plus précisément, quatre escaliers situés aux quatre points cardinaux permettent d’atteindre la dernière terrasse. Bordant les plateformes circulaires, 72 stupas ajourés en forme de cloches abritent autant de statues du Bouddha. Au total, 2670 bas-reliefs (dont 1460 sont narratifs et 1210 décoratifs) couvrent majestueusement le monument à l’extérieur comme à l‘intérieur. L’histoire du pieu bouddhiste Sudhana est longuement narrée et il faut souligner que les panneaux narratifs des murs principaux se lisent de la droite vers la gauche tandis que ceux de la balustrade se déchiffrent en allant de la gauche vers la droite, c’est-à-dire dans le sens du pradaksina (rituel de déambulation circulaire dans le sens des aiguilles d’une montre). Les parois sculptées du premier étage décrivent les vies – « réelle » et antérieures – du Bouddha. De nombreux panneaux illustrent ainsi sa quête de la sagesse et plus de 460 d’entre eux se réfèrent au texte sacré connu sous le nom de Gandavyuha (d’autres scènes proviennent aussi du Badracari, un autre texte sacré de l’hindouisme).
Alors, c’est simple : plus on grimpe, le stupa central fait 50 mètres de haut, et plus les formes sont épurées promettant une libération prochaine, incarnée par le fameux nirvana. L’élévation spirituelle atteint son but sur les trois terrasses circulaires où le pèlerin accède au monde divin. Puis, il atteint le stupa central, pénétrant de fait dans le « Monde sans forme » (arupadhatu), sorte de stade ultime du bouddhisme… Dans ce moment propice à l’ascèse, on est soudain côtoyé par ces 72 stupas creux, en forme de cloche et aux parois ajourées de losanges, renfermant chacun une statue de Bouddha en train de méditer. Une position qui représente aussi la nature fourbe du monde qui nous entoure !
Au sommet du monument, le paysage est impressionnant et semble résonner avec la majesté du lieu. Toutes les confessions ici se rejoignent dans une forme de respect transcendant qui peut toutefois déboussoler le voyageur occidental : des familles musulmanes, par exemple, radiocassette beuglant sur l’épaule, pique-niquent à côté des cloches renfermant l’image du Bouddha, des couples d’amoureux tentent discrètement de s’isoler pour un rare moment d’intimité derrière ces mêmes cloches divines, tandis que des touristes ou reporters internationaux mitraillent tout ce qui bouge ou non… On le savait déjà, le nirvana est difficile d’accès, ici cela est particulièrement vrai le dimanche et les jours fériés !
Redécouvert entre 1811 et 1816, sous l’administration britannique, le site dévoile peu à peu ses mystères enfouis grâce à l’exploration de H. C. Cornelius dépêché sur place ; Sir Raffles réalisera en 1815 une gravure du temple ; en 1873 paraîtra la première photographie du monument. Après une première campagne de restauration effectuée à la fin du XIXe siècle, dirigée par Theodor van Erp, la véritable renaissance du site datera de la seconde campagne de restauration, menée par l’Unesco, sur une dizaine d’années à partir du milieu des années 1970. C’est en 1991 que le site sera officiellement inscrit sur la liste du patrimoine mondial de l’humanité par l’Unesco.
Entouré de divinités ou cerné par les visiteurs, on est jamais seul sur le site. Tout comme d’ailleurs à Java, île la plus peuplée de l’archipel indonésien, avec ses 130 et quelques millions d’habitants. Dans L’anthropologue mène l’enquête, l’écrivain-anthropologue anglais Nigel Barley chemine jusqu’à Borobudur où il déplore le florilège commercial mis en place pour appâter le voyageur de passage. Fustigeant la crédulité des touristes, il écrit : « Dans les sanctuaires flottait une odeur d’aisselles occidentales nauséabondes exposées par centaines lorsque les touristes leurs appareils-photo pour mitrailler les lieux ». Avec l’essor du tourisme depuis vingt ans et la fin de la grande campagne de restauration, réalisée sous l’égide de l’Unesco de 1975 à 1983, les visiteurs accourent de plus en plus nombreux sur le lieu, oubliant même le prix d’entrée devenu exorbitant en 2005 et plus encore en 2012 ! Sans doute que la visite du site permet l’expiation de bien des travers, mercantiles et personnels, qui sait ?
Il demeure qu’aujourd’hui, à la faveur justement de ce tourisme culturel et patrimonial à la mode, Borobudur redevient un « authentique » lieu de pèlerinage et revient de même sur le devant de la scène « culturelle ». Des concerts ou festivals, des spectacles culturels surtout (théâtre, danses, musiques du monde, etc.), s’y déroulent d’ailleurs régulièrement. Sur le plan religieux également, chaque année à la pleine lune, en mai ou juin, des bouddhistes étrangers et indonésiens célèbrent le Vesak, jour de l‘anniversaire de Bouddha. Un jour férié en Indonésie et qui tombe en 2012 sur le 28 mai. En juin 2011, comme on le voit plus loin, Hollywood s’est d’ailleurs invité à la marche des moines à cette occasion…
Fière image sinon icône de l’Indonésie musulmane, le sanctuaire bouddhique est devenu un précieux bijou que les habitants souhaitent préserver au mieux : en 2003, une grande manifestation populaire a empêché les autorités et affairistes locaux de construire un centre commercial à proximité du temple. Tant mieux. En 2010, le plus grand temple bouddhiste du monde a tout de même attiré plus de 2 millions et demi de visiteurs ! Un chiffre sans cesse grandissant en cette période démocratique de l’Indonésie nouvelle, d’autant plus que le temple se fait plus « médiatique ». En effet, en juin 2011, l’acteur Richard Gere, converti au bouddhisme et délaissant un moment la cause tibétaine, a effectué un pèlerinage à Java et a assisté, entre autre, au rare mais célèbre « ballet » de Borobudur, dénommé « Sendratari Mahakarya ». Bien avisé, le gouvernement indonésien a « géré » au mieux le séjour de la star américaine, en profitant de son passage pour réaliser une rentable opération de marketing touristique. C’est de bonne guerre (économique) comme on dit. Si les Javanais profitent directement de cette manne financière, il n’y a effectivement rien à redire, mais est-ce vraiment le cas ? On peut en douter.