Quand une agence de communication propose de mélanger les genres entre journalisme et marketing, il est difficile de ne pas se poser de questions. Surtout si dès la page 2 – d’un livre blanc qui en compte quinze – l’auteur trouve « naturel que les marques deviennent des médias » et affirme que « les journalistes sont les metteurs en scène » de l’information véhiculée par les marques. Sans qu’ils aient à se pencher sur le discours fourni ? Vérifier, recouper, poser des questions ? Enfin tous ces vieux trucs qui font le journaliste dans l’imaginaire du grand public…
« Le brand journalisme, c’est donner des informations, problématiser, conseiller, interpeller, faire rêver », est-il écrit dans ce livre blanc. Et ce, sans remettre en cause le discours de la marque, ni les informations qu’elles diffusent, puisque le but est « d’apporter une valeur ajoutée au business d’une société, que ce soit sur la prospection ou la fidélisation ». Selon la définition proposée en page 5, il ne peut ainsi « être considéré comme indépendant et objectif ».
Cette notion de brand-journalisme a été inventée en 2004 par Larry Light, ancien directeur marketing de Mc Donald’s. C’est dire. Dans un solide exercice de storytelling digne de la com postmoderne (dont le but est d’ancrer un concept neuf dans une histoire ancienne qui si possible soit proche du grand public), l’agence Morse, auteur du livre blanc, fait remonter ce brand-journalisme aux recettes de Jello (1903) et au guide rouge Michelin (1900).
Pourtant, s’il assume bien ses visées publicitaires, le brand-journalisme version agence Morse peut et même doit reprendre les codes des médias, non plus dans le but d’informer mais pour « «créer un attachement à la marque ».
Cette proximité qui pose question est totalement assumée : « une des grandes vertus du journalisme est de réduire l’incertitude des citoyens (…) avec le brand journalisme, c’est un peu la même chose. Les marques produisent un contenu informatif ou pratique pour orienter, expliquer, rassurer, engager. Elles réduisent l’incertitude des consommateurs. Et réduire l’incertitude, c’est déjà créer les conditions de l’engagement ! » D’ailleurs, pour ceux qui auraient encore un doute sur cette proximité voulue entre la com et le journalisme, la page 12 du livre blanc invite les communicants à « se comporter comme un média » en imaginant «une ligne éditoriale » par exemple et les «formats des articles ».
La méthode est enseignée ailleurs que dans les agences de com, par exemple dans certaines écoles de commerce. Le principe est simple : « les marques se font médias, en reprenant les codes du journalisme », explique ainsi Lise, ancienne étudiante de l’école qui travaille maintenant pour un géant de l’industrie alimentaire française. Le mobile est simple : « les consommateurs ne sont plus réceptifs aux méthodes de communication habituelles : ils achètent de moins en moins la presse où l’on se paie des pages de pub, zappent les séquences pub à la télé et la radio, jettent les mails publicitaires direct à la corbeille sans les regarder, mettent des autocollants stop pub sur leurs boîtes à lettre, ne regardent pas les pubs en ligne » (plus de la moitié d’entre elles ne seraient pas vues). Les consommateurs « sont nettement plus méfiants par rapport aux discours publicitaires des marques. En revanche, un média qui leur apporte de l’info, là ils accrochent ».
Comme d’autres initiatives de com à l’instar des publi-reportages pas toujours signalés au grand dam des lecteurs ou des rédactions, le brand-journalisme contribue à flouter un peu plus les frontières entre communication et journalisme. Au risque de semer la confusion dans l’esprit des lecteurs et de saper un peu plus la relation de confiance déjà largement en danger entre Français et médias. D’autant plus que nombre de journalistes quittent un métier en crise profonde, abonné aux plans de restructurations et aux blocages statutaires nombreux, pour renforcer les rangs des communicants plus libres et mieux payés. Aux États-Unis, la tendance est déjà très clairement amorcée mais la France n’en est pas exempte, bien que les statistiques fassent défaut. Un élément tout sauf anodin a été souligné par un ouvrage récent : les communicants ont d’ores et déjà fait basculer le rapport de force avec les journalistes en leur faveur et le brand-journalisme va encore plus loin dans ce sens.