«C’est bien ce que veut le système : faire table rase du passé.»
♦ Le saviez-vous ? A partir de la rentrée universitaire 2015, la licence de « lettres classiques » est supprimée, remplacée par une licence en « humanités » : un pan de l’Université qui tombe et qui ne sera pas le seul, car toute l’Université publique est en voie d’écroulement sous le dernier coup de boutoir de la « refondation » de l’école pour nos enfants à l’exception de celle pour les enfants des banlieues pour lesquels un système éducatif parallèle et performant fait une inexorable montée en puissance depuis plusieurs années.
Par ailleurs, la licence en « humanités » ne va devenir au fil des ans qu’une bouillie de pédago-gogisme instillée par les IUFM, alias ESPE (Ecoles supérieures du professorat et de l’éducation), qui sont appelées à devenir, à court terme, maîtres de l’Université.
Deux questions de posent :
- – Pourquoi cette suppression ?
- – Pourquoi la métamorphose en « humanités » ?
1. Pourquoi cette suppression ?
Quid ? La raison invoquée par les autorités administratives est le manque d’étudiants dans cette discipline. Certes, il y en a peu, mais à qui la faute ? Pourquoi les étudiants optent-ils peu pour les études littéraires alors que jusqu’au début des années 1970 il y avait pléthore de jeunes licenciés en littérature et postulants à la fonction de professeurs ?
La source empoisonnée
Depuis plusieurs années, la désaffectation des étudiants pour les études littéraires a son origine dans la difficulté qu’éprouvent des élèves à comprendre la langue et un texte de lecture courante du fait de la généralisation de l’usage des méthodes de nature globale de lecture qui s’est faite dès les années 1950, usage pérennisé envers et contre tout, aujourd’hui encore, malgré les avatars dénoncés.
Telle est bien la source empoisonnée ! Rappelons à cet égard que le concepteur de la méthode globale de lecture, Nicolas Adam, précepteur dans les familles aristocratiques, a conçu cette méthode en 1787 (un hasard, sûrement !) faisant cette déclaration : « Eloignez d’eux [les enfants] les textes latins et grecs, et amusez-les avec des mots entiers ». Nous sommes donc bien au cœur du problème et, s’il est possible de faire un lien avec le « Ah ! Ça ira ! Ça ira ! Ça ira ! Les aristocrates, on les pendra ! », nous pouvons penser qu’il aurait pu ajouter « et pour qu’ils ne se reproduisent pas, abrutissons leurs enfants ! » Autrement dit, ce « pédagogue » savait ce qu’il faisait et cette déclaration fut en même temps l’aveu de l’aptitude des méthodes traditionnelles d’apprentissage de la lecture alors en usage à faciliter la lecture des textes littéraires et à former une élite intellectuelle.
Tout cela explique que nos « pédagogues » continuent de faire de « l’acharnement pédagogique » avec ces méthodes pour « achever la révolution » (sic), comme l’a dit sans complexes Vincent Peillon, tout en prétendant qu’elles ne sont plus utilisées alors que les textes les plus officiels les préconisent et que 95% des écoles publiques et privées sous contrat les pratiquent pour la bonne et simple raison que les manuels en usage sont des livres de méthodes de nature globale et que les enseignants – du public et du privé sous contrat – sont initiés à ces méthodes dans les IUFM (alias ESPE) et font du « global » sans le savoir, le mot n’étant jamais prononcé !
Or, si ces méthodes permettent aux enfants de lire les mots, elles ne permettent pas pour autant de comprendre le sens des phrases. Pourquoi ? Parce que l’apprentissage de la lecture est basé sur la mémoire des mots et non sur la logique de leur agencement, contrairement à la méthode alphabétique. Le sens étant difficilement acquis, il est loisible de remarquer que les enfants qui ont appris à lire de cette façon n’ont pas une propension à lire des textes car ils ont de la difficulté à les comprendre.
Organisation des carences intellectuelles
C’est d’ailleurs pour masquer les carences intellectuelles qui ont résulté de l’usage des méthodes de nature globale et leur pérennisation qu’on a assisté à un chamboulement de l’organisation scolaire dès les années 1960.
Les classes de premier cycle des lycées ont été remplacées par les classes de C.E.S. (collèges d’enseignement secondaire) où ont enseigné non plus des professeurs certifiés ou agrégés comme précédemment, mais d’anciens instituteurs, qui n’avaient à l’époque qu’un baccalauréat en poche. De ce fait, l’enseignement de la littérature a pu être considérablement allégé sans susciter trop de remous, et celui des langues anciennes – et tout particulièrement le latin – reporté de la 6e à la 2ndeen le faisant passer en matière optionnelle et souvent proposé à des heures dissuasives de la journée ou de la semaine ! A cela s’ajoute la volonté de privilégier la langue vivante étrangère – l’anglais – au détriment du français et des langues anciennes.
Ainsi aujourd’hui, en Terminale S et ES, il n’y a pas de cours de français ni de littérature française, par contre 4 heures de langue vivante (anglais) sont dispensées, et, en Terminale littéraire, seulement 2 heures de cours sont réservées à la littérature française, contre 5h30 de langue vivante dont 1h30 de littérature étrangère. Dans ces conditions, comment choisir une filière littéraire à l’arrivée à l’Université ? Comment donner le goût de la littérature française à des élèves qui, en fin de cursus secondaire, n’ont pas même la connaissance des textes littéraires qu’en avaient autrefois les enfants à la sortie du primaire ?
C’est ainsi qu’ont progressivement disparu les étudiants « littéraires » au profit des « scientifiques ». Les littéraires survivants ont donc été et sont toujours les rescapés de ces méthodes et de l’enseignement qui en a suivi, soit par le fait des parents qui ont pourvu directement ou indirectement à cette carence, soit par le fait d’un enseignement dans des écoles réellement libres : ils sont donc, à ce jour, peu nombreux, mais…
Le pire est devant nous dans l’Université publique
Le pire est devant nous car l’administration de l’Education nationale anticipe. En effet, tout l’enseignement universitaire public est appelé à s’écrouler en raison de la « refondation » de l’Ecole, du primaire à l’université incluse, dont Vincent Peillon est le dernier maître-d’œuvre, « refondation » basée sur la suppression des cours et le remplacement par des activités au cours desquelles l’élève (sic) est censé construire son savoir sans qu’il y ait obligation de résultat, activités maquillées sous des oripeaux de baptêmes divers et variés. Comment, dans ces conditions, maintenir un enseignement universitaire public, et au premier chef la littérature ? Nous voyons mal comment des élèves issus d’un tel système dit encore « scolaire » seraient capables d’appréhender des études littéraires. Mais il y a mieux encore…
2. Pourquoi la métamorphose en licence en « humanités » ?
L’enseignement universitaire public vivant les derniers soubresauts de son agonie, l’administration de l’Education nationale a déjà anticipé aussi depuis plusieurs années en fusionnant les universités avec les IUFM (alias ESPE) qui deviennent, dans les textes, les seuls chefs d’orchestre de la formation des « maîtres » (sic) du primaire à l’université incluse ; tout l’enseignement universitaire va se faire sous leur férule.
C’est la raison pour laquelle, dans le cas présent de la suppression de la licence de « lettres classiques », une fois l’absorption de l’enseignement littéraire dans la rubrique « humanités » acquise, les humanités » en question vont progressivement être métamorphosées en « sciences humaines », c’est-à-dire en psychologie et en sociologie déjà généreusement dispensées dans cette sinistre institution qui se propose d’étudier le comportement de l’homme dépouillé de toutes ses attaches, de toute son histoire, de toute sa culture, de tout ce qui fait son identité, de toutes ses racines, et donnant libre cours aux élucubrations les plus fantaisistes. Faisant ainsi disparaître la culture littéraire, c’est toute l’histoire d’un peuple, d’une civilisation qui disparaît. C’est bien ce que veut le système : faire table rase du passé.
Devons-nous croiser les bras ?
Certes, la situation est gravissime et si nous pensons pouvoir toujours compter sur l’Université publique pour former des professeurs, la fonction enseignante va disparaître, notre culture et notre civilisation avec. Or, les écoles primaires et secondaires réellement libres, indépendantes, se développent de plus en plus et s’attachent à dispenser un enseignement de qualité, notamment un enseignement littéraire important, avec reprise substantielle des cours de latin et de grec. A court terme, certains élèves issus de ces écoles vont tout naturellement avoir le goût de transmettre ce qu’ils auront appris et vouloir exercer le beau métier de professeur.
Mais, en fin de cursus secondaire, ils vont se trouver devant le vide de l’Université publique. Aussi pour que la chaîne de la transmission des savoirs ne soit pas rompue, pour que notre culture subsiste, il est nécessaire que se créent et se développent, dans le prolongement de ces collèges et lycées indépendants, des universités privées qui seules pourront nous permettre d’assurer la pérennité de notre culture.
Et foin de l’Université publique ! Ses diplômes ne sont plus déjà que des coquilles vides !