Début mai, Émilie Loridan avait sollicité un entretien avec le quotidien La Voix du Nord, à Armentières, pour tenter d’alerter l’opinion sur ses problèmes financiers. Mère de deux enfants de 8 et 6 ans, elle ne percevait plus d’allocations de la CAF depuis qu’elle touchait une allocation enfant handicapé par la Belgique pour sa fille trisomique. Émilie était « une maman battante mais fatiguée ». Le journal l’avait rappelée un mois plus tard pour avoir de ses nouvelles, et savoir où en était son dossier. « À part me dire que je dois demander une pension alimentaire au papa de mes enfants, je n’ai rien de plus. La CAF m’a même supprimé mon APL », avait-elle répondu, accablée. Sans RSA, sans APL, Émilie n’avait plus que l’allocation enfant handicapé belge pour vivre (398 euros), elle avait expliqué au journal posément, sans s’énerver, « être à bout », ne plus savoir « comment s’en sortir ».
Son appel au secours n’avait pas pu débloquer sa situation. Selon La Voix du Nord, la CAF avait fourni quelques explications techniques : le papa (dont Émilie est séparée) étant belge et en activité, la petite fille trisomique devait percevoir l’allocation belge, qui était prioritaire, ce qui avait effectivement pour conséquence de la priver des droits aux allocations françaises. Logique implacable : vous tablez sur l’humain, on vous répond règlement.
Pourtant, les fonctionnaires de la CAF savaient parfaitement combien son quotidien était difficile. Comment concilier la reprise d’une activité professionnelle et s’occuper en même temps de ses deux jeunes enfants, dont cette petite fille handicapée, scolarisée en Belgique. Quelles perspectives d’avenir pour Émilie, dont les dettes s’accumulaient chaque mois davantage ? Aucune.
Dimanche 4 juillet 2016, Émilie a mis fin à ses jours. Ses funérailles ont eu lieu samedi dernier en l’église Notre-Dame-du-Sacré-Cœur d’Armentières. Son oncle, sa sœur, ses amis, de simples connaissances et de nombreux Armentiérois étaient présents. Les larmes ont coulé, des paroles dures furent prononcées contre les administrations. Le seul qui n’a pas jugé utile de venir, c’est le directeur de la CAF.
Ce fait divers douloureux est à rapprocher de l’information que vient de publier la Caisse nationale d’allocations familiales sur son bilan en matière de lutte contre la fraude. RTL vient, en effet, de révéler qu’en 2015, 39.934 fraudes ont été qualifiées par les CAF, soit une augmentation de plus de 21,6 % en un an. Le montant de la fraude s’élevant à 247,8 millions d’euros en 2015 (contre 209,6 millions en 2014), soit une augmentation de 18,2 %.
Dommage qu’Émilie n’ait pas jugé utile de tricher comme un sur cinq des allocataires contrôlés. Elle serait encore vivante aujourd’hui. Dommage, aussi, qu’elle n’ait pas eu cinq enfants comme Djamila. Cette dernière, âgée de 33 ans, perçoit en allocations familiales, APL et RSA cumulés une moyenne de plus de 2.000 euros par mois. L’allocation de rentrée scolaire versée en septembre faisant grimper cette somme jusqu’à 3.123 euros.
Je pense à ces deux petites filles qui ne reverront jamais plus leur maman, parce que la jeune femme n’intéressait pas les grands médias, parce qu’elle était polie et ne hurlait pas derrière les guichets de la CAF. Émilie faisait partie de cette France « périphérique » des oubliés, Émilie appartenait aux « maudits » du système.