Celui qui a été pendant dix ans, de 2004 à 2014, président de la Commission européenne, va rejoindre le siège londonien de la banque d’affaires – comme président «non exécutif» et conseiller – afin de l’aider à limiter les effets négatifs du «Brexit». Une fin de carrière qui n’a rien d’étonnant quand on connaît l’homme, mais qui n’en reste pas moins choquante, GS étant l’une des banques les plus impliquées dans la crise des subprimes qui a débouché sur la crise financière de 2007, et dans la crise grecque, ayant aidé à dissimuler l’étendue de son déficit avant de spéculer, en 2009-2010, contre la dette grecque dont elle connaissait évidemment l’insoutenabilité… C’est, au pire moment, un symbole désastreux pour l’Union et une aubaine pour les europhobes, un président de Commission étant censé incarner, bien au-delà de son mandat, les valeurs européennes qui ne sont justement pas celles de la finance débridée qu’incarne Goldman Sachs : tous les anciens présidents de Commission, qui bénéficient d’une pension confortable censée les préserver de toute tentation, ont, jusque-là, su éviter un tel mélange des genres.
Mais la morale et les convictions n’ont jamais étouffé cet ancien président des étudiants maoïste (MRPP) brutalement passé à droite (PSD) à 24 ans avant d’entamer une carrière politique fulgurante qui l’amènera à divers postes ministériels puis à la tête du Portugal en 2002, à peine âgé de 46 ans. C’est en juin 2004 qu’il est propulsé à Bruxelles grâce à son ami Tony Blair, le Premier ministre britannique de l’époque qui a soufflé son nom à ses partenaires après avoir posé son veto, soutenu mezzo voce, par les pays d’Europe de l’Est, à la candidature du Premier ministre belge Guy Verhofstadt soutenu par Berlin et Paris : certes libéral, il était trop fédéraliste pour Londres et surtout il s’était opposé à la guerre en Irak. (…)
Sous son règne, aussi long que celui de Jacques Delors, la Commission a été ravalée au rang de simple secrétariat du Conseil européen des chefs d’Etat et de gouvernement, Barroso assumant d’être «au service des Etats» et non de l’intérêt général européen censé transcender les intérêts nationaux. Ce refus de faire jouer à la Commission le rôle qui est le sien explique en grande partie les errements européens dans la gestion de la crise de la zone euro. Seul élément positif de ce second mandat, Barroso se montre plus régulateur, mais là aussi parce que les Etats, vaccinés par la crise financière, veulent davantage contrôler les marchés. Sur le fond, en réalité, il ne change pas : toujours aussi atlantiste et libre-échangiste, c’est lui qui a personnellement réussi à convaincre les Etats de se lancer dans la négociation du TTIP ou TAFTA, l’accord de libre-échange avec les Etats-Unis, un projet de plus en plus contesté et qui alimente l’euroscepticisme continental.
C’est donc un homme qui a gravement affaibli l’Europe communautaire et ses institutions qui se recycle dans une des banques d’affaires les plus controversées de son époque. Certes, d’autres dirigeants communautaires sont passés par Goldman Sachs, dont Mario Draghi, le président de la Banque centrale européenne, mais c’était avant d’occuper des fonctions européennes. Cette fin de parcours éclabousse toute l’Union, le Conseil européen des chefs d’État et de gouvernement au premier chef, mais aussi le Parlement européen. Tous ceux qui l’ont combattu ne peuvent que tristement constater qu’ils ont eu raison. Mais les dégâts sont faits : désormais, comment ne pas soupçonner les présidents de Commission et les commissaires de ménager tels ou tels intérêts pour s’assurer un avenir financièrement confortable ?