Des fresques dignes de Pompéi exhumées à Arles!

Une femme au visage d’une grande fraîcheur avec deux lèvres roses tourne vers le haut son regard d’une étonnante expressivité. Elle joue d’un instrument à cordes qui ressemble à une harpe. Ce morceau de fresque peinte sur un fond rouge vermillon au Ier siècle avant J.-C. est l’une des magnifiques découvertes d’un programme de fouilles archéologiques menées depuis deux ans à Arles (Bouches-du-Rhône), dans le quartier de Trinquetaille, sur la rive droite du fleuve. Les fragments du visage de cette musicienne ont été dégagés il y a trois semaines seulement, après avoir passé plus de deux mille ans parmi les remblais d’une somptueuse villa romaine. Elle n’est qu’une pièce de ce que ses découvreurs présentent comme « un véritable trésor archéologique ».
Après avoir collecté en 2014 des pans entiers du décor mural d’une chambre à coucher (cubiculum) composée d’une antichambre et d’une alcôve, les archéologues du Musée départemental Arles Antique ont récupéré depuis le 1er avril les éléments d’un rarissime décor peint sur trois murs de la salle d’apparat d’une riche maison (domus) romaine. Ces fresques murales du IIe style pompéien – daté en Gaule entre 70 et 20 avant J.-C. – n’ont d’équivalent qu’avec moins d’une demi-douzaine de sites en Italie. « Comparables à la villa de Boscoreale et à la villa des Mystères à Pompéi », estime ainsi Julien Boislève, toichographologue, spécialiste des peintures romaines à l’Institut national de recherches archéologiques préventives (Inrap).

En France, le IIe style pompéien n’apparaissait jusqu’à présent qu’à travers des fragments trouvés sur une vingtaine de sites, mais pas dans des ensembles peints aussi complets. Le décor de cette salle de réception est composé, entre des colonnes fictives imitant le marbre, de personnages peints sur fond rouge vermillon – onze, estiment les archéologues – à l’échelle ½ ou ¾. Les remblais et la terre ont concouru à l’excellente conservation des fresques – sur les murs ou en fragments – et à la fraîcheur des couleurs.

Témoignage du luxe
La qualité de la figuration, notamment des quelques visages déjà reconstitués, la finesse des modelés des corps et des vêtements ne peuvent être l’œuvre, selon Julien Boislève, que de fresquistes de grand talent, vraisemblablement venus d’Italie, voire d’Espagne. L’usage de pigments comme le bleu égyptien des plafonds et le rouge vermillon témoigne du luxe de maisons appartenant à de riches commerçants ou à l’élite politique de la colonie de droit romain. Ce quartier aujourd’hui populaire d’Arles était à l’époque un « Beverly Hills d’Arelate », selon l’expression d’Alain Genot, archéologue. Habité par les notables, il avait été abandonné en 260 à la suite d’un incendie.
Le hasard a contribué à cette découverte unique qui, d’ici quelques années, à l’instar du fabuleux buste en marbre de César, comptera parmi les œuvres majeures du Musée Arles Antique. Coincé entre le « drive » d’un supermarché et la maison de quartier, le site de la Verrerie est un lieu de fouilles archéologiques déjà ancien. Des opérations y avaient été conduites en 1983 et de splendides mosaïques romaines – des fonds de bassin – datant des Ier et IIe siècles après J.-C. avaient alors été récupérées et figurent parmi les pièces maîtresses du musée. En 2012, la municipalité mettait en place un chantier d’insertion pour procéder au remblaiement du site. Des sondages montraient l’existence, sous les maisons des Ier et IIe siècles, de traces d’une occupation beaucoup plus ancienne.
L’autorisation de fouilles accordée par le ministère de la culture repose sur l’existence d’une véritable chaîne de traitement des vestiges. Dans l’atelier de conservation du musée, les premiers fragments de fresques – certains encore porteurs de traces de terre –, et notamment la femme à la harpe, reposent dans le sable noir de casiers en bois ou dans des caisses référencées. Fragments collectés parmi les remblais ou détachés des parois, les vestiges sont immédiatement traités par les ateliers du musée, protégés, stockés, nettoyés. Ils seront étudiés dans les mois qui viennent. Les couleurs n’ont pas vu la lumière depuis plus de deux mille ans et sont d’une extrême sensibilité aux UV.
A l’issue d’une nouvelle et dernière campagne de fouilles en 2016, qui consistera à dégager une troisième pièce de la villa, les archéologues disposeront d’un total de 1 200 caisses, d’une taille de 60 cm par 30, pleines de fragments. Il faudra se livrer à de gigantesques puzzles pour reconstituer les peintures murales. En vue du remontage des fresques, les archéologues veillent à noter avec précision les endroits où sont collectés les fragments.

Patient travail d’assemblage
Les retours sur des portes, plafond et sols, avec un mortier biseauté, sont l’équivalent des bords du puzzle. Pour les morceaux sans motif, une analyse de la direction de l’enduit de lissage permet de les positionner dans le même sens, ce qui facilite le remontage. Mais il n’existe pas de technique autre que l’examen à l’œil nu des pièces une à une. « Il y aura des lacunes, des manques dans ces fresques qui renaîtront », indique Marie-Pierre Rothé, responsable scientifique de l’opération. Mais l’ensemble s’annonce unique. Ses découvreurs ignorent ce qui sortira de ce patient travail d’assemblage, même si quelques indices semblent trahir la présence du dieu Pan et laissent penser à l’entourage de Bacchus.
Avec un rythme estimé à un jour par caisse de fragments puis à un travail de restauration, le grand public ne devrait pas découvrir les fresques de la villa de la Verrerie avant huit à dix années. Mais, espère Alain Charron, responsable des collections du Musée Arles Antique, une exposition temporaire pourrait, un peu avant cette échéance, lever un coin du voile sur ce nouveau trésor arlésien.

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