Moins célèbre que son confrère Miyazaki, le cinéaste japonais signe pourtant avec « Le conte de la princesse Kaguya » l’un des plus beaux films de l’année.
Difficile de raconter l’un sans mentionner l’autre. Isao Takahata est à Hayao Miyazaki ce que Roy Lichtenstein est à Andy Warhol ou Buster Keaton à Charlie Chaplin. Le génie discret derrière le box-office insolent. Moins célèbre, moins solaire, resté injustement dans l’ombre de son ami depuis la création à quatre mains de la sainte chapelle du manga japonais, le studio Ghibli, en 1985. Pourtant, les deux hommes ont débuté ensemble et plus d’une fois collaboré, l’un se chargeant de l’animation et du scénario d’une série animée (Miyazaki), tandis que l’autre en signait la mise en scène ou la production. « Il y a toutes sortes de facteurs en jeu dans le succès ou l’insuccès d’un film, analyse l’affable cinéaste de passage à Paris. Mais un élément peut expliquer pourquoi Miyazaki est plus populaire que moi : ses longs-métrages sont plus intéressants que les miens. » Takahata pirouette et rit mais la vérité est plus triviale.
Lorsque Miyazaki, son cadet de cinq ans, sort en 1988 « Mon voisin Totoro » dont la créature mi-Mickey mi-monstre deviendra l’emblème de Ghibli et la mascotte des tout-petits, Takahata présente le même jour son chef-d’œuvre « Le tombeau des lucioles », bouleversant récit naturaliste d’une fratrie déchirée par la Seconde Guerre mondiale. Tout ce qui sépare les deux hommes tient dans ce face-à-face : le pouvoir féérique de l’imaginaire versus la grande histoire du Japon et le réalisme le plus cru. Nul besoin de préciser lequel des deux films fera dix fois plus d’entrées sur l’archipel. « Je refuse de créer à l’écran un monde utopique qui fera rêver les spectateurs, poursuit Takahata. On nous parle de colonies dans l’espace mais, pour moi, ce qui importe, c’est de coexister dans l’environnement qui est le nôtre. Je ne crois pas qu’il y ait d’autre voie pour l’homme que de vivre sur Terre, ici et maintenant. Alors je veux que les spectateurs aient du plaisir en voyant mes films, mais aussi qu’ils les incitent à réfléchir sur leur vie. »
UN JOYAU DE POÉSIE
« Le conte de la princesse Kaguya » est de cette trempe-là. Joyau de poésie ouvertement féministe, prônant un retour à la nature, mais rejetant l’étiquette écolo, cette adaptation du classique de la littérature « Le conte du coupeur de bambous » hante depuis un demi-siècle les rêves du pétulant septuagénaire qui considère à juste titre son film comme un sommet de l’animation. Dommage pour lui, le film qui devait à nouveau affronter « Le vent se lève » de Miyazaki dans les salles japonaises n’a pas fait le poids face à son éternel concurrent. « J’avoue que nous nous attendions à ce que le film touche un public plus large. J’essaie d’ailleurs de comprendre ce qui s’est passé… »
Pour le très francophile réalisateur qui n’avait pas signé de long-métrage depuis quinze ans, préférant se consacrer à la traduction de poèmes de Prévert, « Le conte de la princesse Kaguya » a tout du film-somme au parfum de note bleue. Pourtant, s’il ne sait pas ce qu’il adviendra du légendaire studio Ghibli après la retraite annoncée de son ami Miyazaki, lui ne semble pas si disposé à raccrocher ses crayons. « Le thème de l’adieu à la vie ressort nettement dans mon film en raison de mon âge : si je l’avais réalisé il y a cinquante ans, il n’aurait pas eu cette même intensité… Je vous rassure : j’ai encore des envies de cinéma, donc je n’ai pas dit mon dernier mot. La question est : aurai-je la possibilité et le temps surtout de réaliser un autre film ? Dieu seul le sait… » nLe réalisateur (ci-dessous à Paris), qui ne dessine pas, a opté pour un style plus proche de l’esquisse que du réalisme.