Mariée et mère de quatre enfants, Ida de Chavagnac a été analyste financière pendant 20 ans. Licenciée pour avoir dénoncé des abus, elle est devenue lanceur d’alertes. Elle raconte son expérience dans un livre disponible sur internet, Alerte rouge sur la banque verte. Elle se présente aux législatives dans la première circonscription de Paris sous l’étiquette Parti Chrétien-Démocrate (PCD).
— Comment êtes-vous devenue « lanceur d’alertes » ?
— Je faisais de l’analyse financière depuis 20 ans dans une grande banque française. Cela consiste à donner des avis positifs ou négatifs sur les dossiers apportés par les commerciaux. Je m’occupais des demandes d’emprunts formulées par les sociétés d’assurance. En 2010, mon nouveau responsable me demandait de donner systématiquement des avis favorables. Comme je refusais, j’ai subi des pressions. Lors de mon évaluation de 2012, il m’a notifié par écrit que je devais « prendre davantage en compte les intérêts des commerciaux », qui eux sont payés à la commission. Ce qui est contraire à la déontologie, au principe d’indépendance de l’expertise financière. J’ai vu alors ma rémunération variable supprimée. J’ai été convoquée par mon N +2. J’en ai profité pour l’alerter lui et mon N +3 sur les méthodes de mon supérieur direct, qui sont contraires à la réglementation bancaire. Ils n’ont rien fait, pas plus que le mandataire social qui a refusé de me rencontrer. J’ai fini par me faire virer en janvier 2014. Je porte plainte pour licenciement abusif. Mais mes avocats me poussent à négocier. J’ai refusé qu’on achète mon silence et de céder à cette forme de corruption. La loi défend totalement les lanceurs d’alertes, et je demande la nullité de mon licenciement aux prud’hommes. Et comme le but de mon alerte est de faire cesser ces faits de corruption, j’attaque au pénal.
— N’est-ce pas un peu fort de parler de corruption ?
— Non au contraire, surtout lorsque la moralisation est à la mode en politique depuis l’affaire des costumes de François Fillon. Le pauvre s’est sûrement fait avoir, mais il s’est tout de même laissé aller. Il a manqué de clairvoyance. On est aujourd’hui dans un monde où la corruption est insidieuse. J’en reviens à ma banque et à mon chef. Je porte plainte pour corruption active, puisqu’il m’a incitée à tricher. Et lui était victime de corruption passive de la part des commerciaux qui l’incitaient à fournir des avis favorables pour leurs clients. Même s’il ne touchait probablement pas d’argent. Mais je ne suis pas sûre qu’il en était conscient. Il n’aurait sans doute pas appelé ça comme ça. La conscience aujourd’hui est atrophiée. Les gens ont perdu le sens de l’éthique.
— Quel est le but de votre démarche ?
— Mon objectif est de moraliser la finance. Il n’y a plus aucune considération pour la personne humaine. L’intérêt économique passe avant tout. J’ai pu constater des dérapages à tous les niveaux. Tout le monde les subit. Il y a des gens en dépression, et personne ne dit rien. J’estime qu’ayant tenu toute cette démarche, je me sens un devoir de témoignage. J’ai écrit un livre, Alerte rouge sur la banque verte, que j’ai autoédité pour l’instant. J’interviens régulièrement dans des colloques, dans le but d’inciter les gens à briser le mur du silence. Je considère que la moralisation de la finance passe par une prise de conscience de chacun. Les gens sont de plus en plus malheureux dans leur environnement professionnel. Ceux qui sont encore en poste subissent le règne de la peur au sein de leurs entreprises. Or ces boîtes-là écrasent les salariés qui refusent de suivre le mouvement. Dans mon service, les autres suivaient les directives du chef. Je passais pour la ringarde qui parlait d’endettement, de risques financiers, alors qu’il fallait être pro-business, enclin au risque… Tout un discours auquel peu de gens résistent. Ceux qui refusent la corruption doivent être éliminés. Ma lettre de licenciement, par exemple, n’est qu’un tissu de mensonges. Ce n’est que manipulation et détournement de la loi. Heureusement que je suis stable psychologiquement, et que je peux compter sur l’appui de ma famille, parce qu’il y a de quoi se jeter dans la Seine.
— Quelles sont les mesures à prendre pour éviter aux banques de jouer avec l’argent des particuliers ?
— Il faut revenir à des banques à taille humaine. Quand j’ai commencé il y a 20 ans, il y avait une autorégulation. Lorsqu’on voyait dans les journaux qu’une structure avait pris des risques inconsidérés, les gens arrêtaient de lui confier leur argent. Elle risquait alors de faire faillite. Aujourd’hui, les banques sont devenues des mastodontes, qui s’entraident et se tiennent les coudes. Aujourd’hui, la crise qui vient est forcément systémique. Tout saute ou rien ne saute. Etats compris. Mais en l’état actuel, c’est un pousse-au-crime. La banque où j’ai travaillé est devenue tellement grosse (un Français sur quatre y a un compte) qu’on estime qu’elle ne fera jamais faillite, et que l’Etat sera là pour renflouer les caisses.
— Qu’est-ce qui vous a motivé à vous présenter aux législatives sous l’étiquette du PCD ?
— J’ai toujours été motivée en parallèle de mon travail par toutes les questions éthiques (mariage pour tous, fin de vie, etc.). Même pendant mes périodes professionnelles difficiles, j’ai continué de tracter pour LMPT. En 2014, je me retrouve licenciée. Malgré mes dossiers avec la justice et mes rencontres avec les journalistes, il me reste encore du temps pour défendre mes convictions. Je me suis rapprochée du PCD pendant les primaires de la droite. C’est finalement assez cohérent avec mon combat de lanceur d’alertes, contre l’ultralibéralisme et ces entreprises qui ne mettent plus l’homme au centre de l’économie. Il est temps que le politique retrouve ses droits sur la finance, pour défendre entre autres l’économie locale : les TPE, les PME, les agriculteurs… Tant que l’intérêt financier primera sur l’humain et le bien commun, on n’en sortira pas.
— Quels sont vos adversaires dans votre circonscription ?
— On m’a mise dans cette circonscription en me disant : « On te met là parce qu’on sait que tu n’as peur de rien. » Ironie de l’histoire, Pierre Lellouche, poids lourd des LR et bien implanté, s’est retiré de la course. Je me retrouve donc face à son suppléant, qui a marqué sur son tract qu’il fallait donner « une majorité claire et cohérente au Premier ministre Edouard Philippe ». Or le gouvernement Macron représente tout ce que je combats. Il est à la fois ultralibéral économiquement, pour la mondialisation, tout en étant libertaire sur les questions éthiques. Je suis donc la vraie candidate de l’opposition.
Propos recueillis par Louis Lorphelin pour Présent