C’est un fait qu’on pourrait croire anecdotique, mais il ne l’est pas. Loin de là. C’est le magazine Jeune Afrique qui l’a révélé le mois dernier : une « doctorante » de l’université de Sfax, en Tunisie, vient de passer cinq ans à la rédaction de sa thèse dont le sujet est celui-ci : « Le modèle plate-géocentrique (sic) de la terre, arguments et impact sur les études climato/paléoclimatiques. »
Je traduis : la Terre est plate et le soleil tourne autour.
C’est très sérieux. Avalisé par la faculté des sciences, réalisé sous la tutelle d’un directeur de recherches, Jamel Touir.
C’est Faouzia Charfi, physicienne, professeur à l’université de Tunis, qui a dénoncé le scandale après que des extraits de cette thèse ahurissante à maints égards (rédigée en français, elle est en outre truffée de fautes) eurent paru dans une revue pseudo-scientifique. « Comment peut-on accepter que l’Université soit non pas l’espace du savoir, de la rigueur scientifique, mais celui de la négation de la science, celui où la science est refusée car non conforme à l’islam ! », s’est-elle insurgée, rappelant que « c’est une thèse soutenue dans une faculté de sciences et non de théologie ! ».
Car les extraits publiés par Jeune Afrique sont en effet ahurissants (l’orthographe et la syntaxe ont été respectées) :
« En ce qui concerne les lois physiques connue on a rejeté les lois de Newton, de Kepler et d’Einstein vue la faiblesse de leurs fondements et ont a proposé par contre une nouvelle vision de la cinématique des objets conforme aux versets du Coran.
« Tous les donnés et les arguments physiques religieuses ont permis de démontrer la position centrale, la fixation et l’aplatissement de la surface de la terre, la révolution du soleil et de la lune autour d’elle. »
« Les étoiles se situent à 7.000.000 km avec un diamètre de 292 km et leur nombre est limité. Ils possèdent trois rôles : pour être un décor du ciel ; pour lapider les diables et des signes pour guider les créatures dans les ténèbres de la terre. » Etc.
À ses collègues qui ont levé le scandale et conduit au rejet, par le ministère de l’Enseignement supérieur, de ladite thèse, il a opposé « la liberté de pensée et la liberté académique inscrites dans la Constitution ». Il s’estime, bien sûr, victime d’une « campagne malveillante, portant atteinte à sa réputation et à ses compétences scientifiques » et avance cet argument censé clore le débat : « L’étudiante que j’encadre a voulu revoir la théorie de la gravitation de la Terre autour du Soleil, en proposant l’hypothèse inverse. Ce n’est qu’un brouillon. »
L’Université tunisienne, réputée jusqu’ici fournir d’excellents scientifiques, est secouée par le scandale et dénonce dans son ensemble « l’ignominie [qui] rejaillit sur toute la communauté des chercheurs ».
Mais le mal est profond et beaucoup s’alarment depuis que l’Union générale tunisienne des étudiants (UGTE), proche du parti islamiste Ennahdha, a remporté (fin 2015) 42 % des sièges des conseils scientifiques des universités, soit 224 sièges sur un total de 528.
Une nouvelle étape de la stratégie de conquête de toutes les sphères de la vie publique tunisienne par le parti islamiste qui alarmait déjà Jeune Afrique : « Le changement de rapport de forces en faveur des islamistes dans les universités s’est opéré en une seule année. »
Aucune crainte à avoir, rien de semblable chez nous, pensez-vous !
Pas si sûr… Interrogez des professeurs. Ils vous diront que l’argumentation de Jamel Touir et de sa doctorante – « je crois ce que je veux, il n’y a pas de vérité scientifique à opposer à ma foi » – est bien celle qui prévaut désormais dans nos territoires perdus de la République.