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Les lecteurs de Présent savent notre acharnement à défendre une culture de qualité pour les générations à venir. S’il suscite l’allergie du clergé pédagogiste, le mot de transmission est aimé de nous entre tous. C’est à ce titre qu’il nous faut démasquer une nouvelle entreprise de démolition des déconstructeurs, qui n’a pas eu le tapage qu’elle mérite. Il était une fois deux collections pour la jeunesse : la Bibliothèque rose (créée en 1856 par Louis Hachette) et la Bibliothèque verte (qui naîtra en 1923). Toutes deux connurent un grand succès en rendant accessible au plus grand nombre une littérature populaire de qualité. Combien de générations y firent leur première rencontre avec la littérature et y contractèrent une irrémissible dépendance avec le plaisir de lire ? Au fil des collections, les couvertures changèrent, se modernisèrent, mais sans que les œuvres soient attaquées. Jusqu’au tournant du siècle dernier, qui vit les prémices d’une réécriture systématique du vieux fond, alors qu’il était d’ailleurs peu à peu remplacé par d’« innovantes » niaiseries mondialisées. Ou l’histoire d’une collection de « haute culture populaire » devenue « produit dérivé de l’aculture mondialisée ».

« Ortograf » et politiquement correct

… après.

Aux sceptiques qui soupçonneraient une crise aiguë de « c’était mieux avant » sur un fond de mauvaise foi, une lecture comparatiste – comme le diraient ceux de l’université – apporterait des preuves solides, susceptibles de briser leur rationalisme suspicieux. Exercice. Si l’on se plonge dans la célèbre série du Club des Cinq par exemple, ce qu’a fait avec méthode un professeur. Au programme : disparition du passé simple au profit du présent, remplacement des « nous » par des « on », furieux élagage des descriptions et politiquement correct à tous les étages. « Quand ils furent en vue » devient « Quand ils s’approchent ». Ailleurs : « Ils passèrent une heure à discuter, puis le soleil disparut dans un flamboiement d’incendie, et le lac refléta de merveilleux tons de pourpre et d’or », se mue en : « Ils passent encore une heure à discuter, puis le soleil disparaît derrière les sommets alpins, et le lac prend des reflets dorés. » De la littérature de procès-verbal, du pur style Macron !

Dragonball 1 – Dumas 0

Certes, nous n’allons pas nier qu’un éditeur doive s’adapter aux goûts – et à l’intelligence – de son public, mais il n’est pas interdit d’attendre également de lui qu’il s’efforce de rehausser l’un et l’autre. Au lieu de participer à la grande déculturation… Il n’est qu’à voir le succès de collections exigeantes telles que « Les Petits Platons » pour constater qu’une littérature de jeunesse de qualité est encore possible. Autre raison de s’inquiéter : à l’appauvrissement constant du champ lexical et du style employé s’ajoute l’américanisation progressive des collections. Pour les filles, Hello Kitty, Barbie, Princesse Academy et Palace Pets ; pour les garçons, Avengers, Foot 2 Rue (sic), Dragonball et Star Wars ont largement remplacé les classiques. Exit Dumas, Balzac, la Comtesse de Ségur, Jules Verne ou James Curwood. Signe des temps, une récente publicité de la fameuse collection proposait à ses lecteurs de remporter… une console de jeux vidéo. Où quand le pendu tisse lui-même sa corde…


Vous l’aurez compris, il est grand temps de remettre à l’honneur les vieilles collections qui ont pu être laissées à leur solitude dans les greniers. Privilégiez les éditions antérieures à 1983, dont la plupart sont bradées dans les brocantes et chez les bouquinistes, qui proposent souvent trois, quatre à cinq volumes pour un euro. A l’heure de la grande réécriture orwelienne, voici une œuvre accessible… et salutaire.

Pierre Saint-Servant – présent

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