Sorte de Lonely Planet pour djihadistes, Hijrah to The Islamic State (Émigration vers l’Etat islamique) prodigue sur cinquante pages des recommandations pour se rendre en Syrie et y rejoindre l’Etat islamique (EI). Apparu à la fin de l’automne et mis à jour fin février, cet e-book publié en anglais par un proche de l’EI a depuis été diffusé sur les réseaux sociaux par les sympathisants de l’organisation, alarmant les services britanniques.
Le guide alterne conseils de sécurité (passages de frontières, comportement face à la police, contacts en Turquie), références religieuses et mémos pratiques, comme le contenu idéal d’un sac à dos. Avec, en prime, des stéréotypes en tous genres : « Pour les vêtements, n’emportez que le strict minimum (okay, des sœurs se sont évanouies en lisant ça…) ».
Comme n’importe quel guide de voyage, celui de l’Etat islamique a même la fibre écolo : « Ce n’est pas parce que vous émigrez qu’il faut salir la Terre d’Allah. » Il conseille donc d’utiliser des chargeurs à énergie solaire pour recharger son lecteur MP3 « ce qui, en minimisant le gaspillage et la pollution, vous apportera œuvre méritoire et bonnes actions (en prévision du Jugement dernier)… »
Toujours plus de combattants occidentaux
Si le ton se veut parfois « léger », cet énième outil de propagande s’insère dans le contexte d’un afflux de combattants occidentaux qui ne se tarit pas, et dont l’EI a fait l’une des pierres angulaires de sa stratégie. Dans son dernier numéro d’avril, la revue trimestrielle en langue française de l’EI, Dar Al-Islam, insistait encore : « La Hijrah (l’émigration) est une nécessité pour le musulman afin qu’il ne vive pas au milieu des nations injustes qui désobéissent à leur seigneur et encourent ainsi sa colère. »
Quelque 4 000 combattants occidentaux ou originaires de pays occidentaux se battraient en Irak et en Syrie, selon les dernières estimations de l’Institut international d’études sur la radicalisation et de la violence politique (ICSR). Début mars, le premier ministre, Manuel Valls déclarait craindre que ce chiffre grimpe à « 5 000 avant l’été et sans doute 10 000 avant la fin de l’année ».
La publication de Hijrah to the Islamic State a donc été prise au sérieux par Scotland Yard, qui le considère comme une « menace ». Concerné par le départ de 500 à 700 nationaux partis se battre dans les rangs djihadistes en Irak et en Syrie, le Royaume-Uni a été particulièrement ébranlé en mars par la fugue de trois adolescentes de 15 et 16 ans parties ensemble rejoindre l’EI via la Turquie.
« Nous avons et allons faire en sorte de retirer [ce guide] des sites Web et des plateformes de réseaux sociaux », indiquait, le 25 février, un porte-parole de l’unité de contre-terrorisme en ligne de la police (CTIRU) au quotidien britannique The Guardian. Avec un succès relatif car, selon nos observations, le guide continue de circuler sur Internet, et notamment sur Twitter.
La censure exercée par le réseau social reste en effet allégrement contournée par les djihadistes : seuls 3,4 % des comptes de l’organisation référencés à l’automne avaient fait l’objet d’une suspension en janvier, selon J.M. Berger et Jonathan Morgan, auteurs d’une étude sur le profil des partisans de l’EI sur le réseau social pour l’Institut Brookings.
Un signe de la faiblesse de l’EI ?
Le chercheur Max Abrahms, enseignant à la Northeastern University de Boston et membre du think tank Center for Cyber and Homeland Security, tient, lui, à relativiser le phénomène. Il prend même le contre-pied de ce qu’il appelle les « alarmistes des médias sociaux » . « Le groupe perd actuellement des combattants sur le terrain à un rythme qui excède son niveau de recrutement, affirme-t-il. Si l’EI n’avait pas de problème de recrutement, l’organisation n’investirait pas autant les réseaux avec ce type de contenus. C’est plus un signe d’affaiblissement organisationnel que de force. » Loin d’être certaine, cette tendance a toutefois été illustrée par les revers subis par l’EI ces dernières semaines en Irak.