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Aimez-vous Pissaro ? Mais surtout, le connaissez-vous ? Le musée Marmottan-Monet rend hommage au « premier des impressionnistes ».
Camille Pissaro, né dans les Antilles danoises en 1830 et mort à Paris en 1903, est avec Claude Monet le grand paysagiste de l’impressionnisme, mais sans reconnaissance de la postérité qui place au firmament de ce mouvement Monet et Renoir. Or d’une part il est la cheville ouvrière de l’impressionnisme, l’un des lanceurs du mouvement, l’un des participants les plus fidèles aux expositions, celui qui arrondit les angles quand les personnalités se heurtent. D’autre part il est celui qui guide le jeune Cézanne, de quelques années son cadet, il est plus tard le premier maître de Gauguin. Enfin, surtout, il est l’inlassable peintre qui parcourt avec son chevalet la contrée où il vit, dans l’ouest parisien surtout, à Louveciennes, puis à Eragny-sur-Epte dans l’Oise (« Pissarro à Eragny, la nature retrouvée » est l’objet d’une exposition qui commence le 16 mars au musée du Luxembourg).
Le musée Marmottan-Monet, qui mériterait le titre de maison de l’impressionnisme par la qualité des expositions consacrées à ce mouvement au fil du temps, évoque toute la carrière de Pissarro, depuis une plage antillaise (Deux femmes causant au bord de la mer) jusqu’aux séries parisiennes des années 1900 où il se montre plus impressionniste que jamais en étudiant les effets des variations climatiques sur l’atmosphère du motif (Le Pont-Neuf, après-midi, soleil, première série, 1901). A part une période pointilliste où il succombe aux théories de Seurat avec des résultats peu réussis (1886-1890), il est un observateur tenace de la nature qui tâche de fixer sur la toile son « sentiment » face à un morceau de nature ou de ville, avec le parti pris nécessaire à toute œuvre d’art.
On suit donc Pissarro sur les bords de la Marne (1864, il se montre encore proche de Daubigny), à Pontoise (Le Jardin de Maubuisson, 1867, la lumière se pose harmonieusement sur les arbres et les maisonnettes), on s’arrête à Louveciennes avec une grande composition baignée dans les lueurs rosées de la fin de journée (1871) ou la route de Versailles enneigée, on retourne à Pontoise avec la très belle toile représentant la Place du Vieux-Cimetière (1872). Plus tard il y aura les ponts de Rouen, les bassins du Havre (L’Anse des pilotes, 1903), les avenues de Paris, villes entrecoupées de toiles campagnardes (Vue de Bazincourt, temps clair, 1884) où Pissarro place des figures (Jeune fille à la baguette, 1891), des scènes de marché.
Pissarro n’a pas eu la reconnaissance qu’il méritait de son vivant ni après, parce qu’il n’était pas du genre à se mettre en avant. « Les longs cheveux, le dandysme, le bruit, ne comptent pour rien ; le travail, l’observation, la sensation sont les seules forces nécessaires », écrit-il à l’un de ses fils en 1894 (lettre 989). L’esbroufe qu’il refuse à l’artiste, il ne la permet pas plus à sa peinture : il revendique une peinture « grise et mate » (lettre 950). L’absence de tape-à-l’œil n’est pas l’argument le plus vendeur. Sa modestie est assez voisine de celle de Camille Corot qu’il rencontra en 1855 pour lui demander conseil et avec qui il travailla. « Le père Corot avait l’habitude de nous dire : “Je n’ai qu’une petite flûte, mais je tâche de donner la note juste…” Bigre ! » (lettre 990)
Une personnalité attachante
La personnalité discrète, philosophe et opiniâtre de Pissarro se dévoile dans sa volumineuse correspondance. Janine Bailly-Herzberg l’a éditée et annotée avec soin (cinq volumes aux Editions du Valhermeil parus dans les années 1980 ; sur son site, l’éditeur vend le volume 20 euros… comptez 38,11 euros à la librairie du musée et cherchez l’erreur). Couvrant les années 1865-1903, beaucoup de lettres sont adressées à ses jeunes artistes de fils Lucien et Georges installés en Angleterre, mais aussi à Octave Mirbeau, à Paul Durand-Ruel. La correspondance est riche en détails domestiques parfois redondants, mais on voit l’artiste travailler, le pater familias chercher l’argent nécessaire aux frais nombreux alors que son art est peu recherché, attentif au bonheur de ses enfants et à leur éducation, qu’il les guide dans leurs études artistiques ou les conseille en homéopathie (qui fut sa seule croyance).
Le juif athée qu’était Pissarro avait une tendresse toute particulière pour les sculpteurs médiévaux, à la fois parce que leurs sculptures étaient basées sur une observation de la nature et parce qu’à cette époque l’artiste et l’artisan ne faisaient qu’un : « Je crois qu’il y aurait du profit pour toi, écrit-il à son fils, à comparer la nature avec les œuvres des Gothiques, qui en somme sont des artistes qui ont puisé dans la nature tous leurs éléments et cela avec une hardiesse incomparable, fais attention que je ne te dis pas de faire du Gothique » (549). Politiquement anarchiste convaincu, Pissarro ne se reconnaît que des maîtres artistiques, et pas n’importe lesquels : « Rappelle-toi que les Primitifs sont nos maîtres, parce qu’ils sont naïfs et savants » (197). Ces deux adjectifs, naïf et savant, résument bien et l’homme et la conception qu’il avait de son art. La preuve en est dans ses peintures.
Pissarro, « le premier des impressionnistes ». Jusqu’au 2 juillet 2017, musée Marmottan-Monet.
Tableau en Une
Camille Pissarro, Louveciennes, 1871.
Huile sur toile, 90 x 116, 5 cm. Collection particulière. © Christian Baraja
Samuel Martin – Présent