Avant Edward Snowden, avant Bradley Manning, il y avait Julian Assange. Ancien informaticien et hacker, fondateur de la plateforme WikiLeaks, Julian Assange s’est attiré les foudres du gouvernement américain lorsqu’il a mis en lumière les dessous de la guerre d’Irak. En 2010, il fait fuiter près de 400 000 documents classifiés de l’armée américaine, portant sur le conflit qui a débuté en mars 2003. Tortures, crimes de guerre, massacres sont révélés au grand public. Ces documents permettent aussi de chiffrer à 109 032 le nombre de morts irakiens causés par le conflit de 2004 à 2009, dont 60% de civils, alors même que les États-Unis vendaient aux médias « les frappes chirurgicales » et affirmaient ne pas disposer d’un tel bilan chiffré.
Cette orchestration de ce qui constitue aujourd’hui encore la plus grosse fuite de documents militaires secrets de toute l’Histoire a coûté cher au fondateur de la plateforme de divulgation : il est aujourd’hui réfugié dans l’ambassade londonienne de l’Équateur, qui lui a accordé l’asile, après qu’il ait fait l’objet d’accusations de viol par deux femmes suédoises. Ces faits remonteraient à août 2010, soit un mois après la fuite des documents relatifs au conflit irakien. Ces accusations ont amené le gouvernement suédois à demander son extradition. Julian Assange dément les faits qui lui sont reprochés, absurdes selon lui, et affirme faire l’objet de persécutions politiques.
BIOGRAPHIE ET PARCOURS PROFESSIONNEL
Il naît en Australie, dans la ville de Townsville en juillet 1971. Sa mère est artiste, son père est activiste anti-guerre. Le couple se sépare avant sa naissance, et Julian est élevé par son beau-père acteur. À leur divorce en 1979, sa mère se remarie avec un membre actif du mouvement New Age australien. Avant de se séparer en 1982, le couple voyage énormément, et l’enfance de Julian Assange est mouvementée : il connaît trente villes australiennes différentes avant même l’adolescence… Il étudie ensuite la programmation, les mathématiques, et la physique à l’Université du Queensland en 1994, puis à l’Université de Melbourne en 2003. Il ne complète aucun de ces cursus, préférant pratiquer le hacking. Avec ses deux amis baptisés « Trax » et « Prime Suspect », ils forment un groupe de hackers « éthiques » appelé les « Subversifs Internationaux ». Ils piratent ensemble le Pentagone, l’US Navy, le département de la Défense américain, Citibank, et diverses sociétés de communication ainsi que des universités. Assange est mis sur écoute dès 1991 par les autorités australiennes, qui finissent par l’arrêter en 1994 au motif de 31 actes de hacking perpétrés. Jugé en 1996, il plaide coupable. Parce qu’il n’a pas démontré d’intentions malveillantes, et que son enfance est jugée « difficile », la justice se montre clémente et le condamne simplement à payer une amende.
En parallèle de ses années de hacking, Julian Assange est aussi consultant en informatique pour les autorités policières, notamment dans le cadre d’enquêtes de la brigade des mineurs. Il crée également l’un des premiers fournisseurs d’accès à internet australien, et programme de nombreux logiciels de cryptage de données. En 1998, il tourne la page du hacking et co-fonde l’entreprise Earthmen Technology. Dès 1999, il avertit le public qu’un brevet déposé auprès de la NSA permettrait de collecter massivement les données téléphoniques.
En 2013, il fonde un parti politique WikiLeaks, après avoir annoncé sa candidature au sénat australien au printemps 2012. Il est par ailleurs animateur d’une émission de débats sur Russia Today d’avril à juillet de la même année. En juillet 2015, il demande l’asile à la France, s’adressant directement au président Hollande dans une lettre ouverte publiée par Le Monde. Une demande laconiquement rejetée par l’Élysée.
WIKILEAKS
C’est en 2006 qu’il fonde la plateforme WikiLeaks, alors qu’il étudie à l’Université de Melbourne. Cette structure, à mi-chemin entre le journalisme et l’activisme, se donne pour ambition de publier des informations classifiées ou tenues secrètes. Ses premières activités, de 2006 à 2009, sont peu remarquées. C’est à partir de 2010 qu’elle attire l’attention des médias internationaux, après la publication de documents classifiés américains.
WikiLeaks s’illustre dans un premier temps en faisant fuiter plus de 250 000 câbles diplomatiques confidentiels à la fin 2010. Ces documents portent sur des échanges diplomatiques entre plus de 150 pays, allant de 1966 à 2010. Un volume de données colossal, qui seront relayées par de nombreux médias occidentaux (Le Monde, le Guardian, le New York Times, Der Spiegiel). En 2011, WikiLeaks prend la décision de publier l’intégralité des données, soit 251 287 documents.
Par ailleurs, WikiLeaks publie en 2011 des documents classifiés sur la base d’incarcération américaine de Guantánamo, qui révèlent notamment que le gouvernement savait que de nombreux détenus étaient innocents. Pour le journaliste Glenn Greenwald, ces documents démontrent la nature de l’action américaine, « injuste et oppressante ». Une dimension inhumaine que les médias américains se seraient empressés d’atténuer suite aux révélations.
Enfin, la plateforme du hacker reconverti s’est aussi illustrée par la divulgation d’informations hautement confidentielles sur la guerre menée en Irak par les Etats-Unis à partir de mars 2003. Ces fuites révèlent notamment que le conflit a coûté la vie à plus de 100 000 irakiens, majoritairement des civils. Cette publication de 391 832 rapports en fait, aujourd’hui encore, la plus grande fuite de documents de l’Histoire militaire mondiale.
À l’été 2015, la plateforme fait fuiter des documents qui démontrent que la NSA a directement espionné les présidents Chirac, Sarkozy et Hollande. Une opération que Assange intitule « Franceleaks », affirmant que les raisons de ces surveillances sont à la fois politiques et économiques, et qu’elles s’inscrivent dans une manœuvre d’espionnage industriel, ayant pour finalité de miner la compétitivité des entreprises françaises au profit des États-Unis.
SA NÉBULEUSE
Edward Snowden, Glenn Greenwald, Bradley Manning.
DISTINCTIONS
2008 : The Economist, prix Nouveaux Médias.
2009 : Amnesty International Grande Bretagne, Prix Médias.
2010 : Homme de l’année TIME, élu par les lecteurs.
Prix Sam Adams.
Homme de l’année Le Monde.
Prix de l’Union des journalistes du Kazakhstan.
2011 : Prix Free Dacia décerné par la publication roumaine en ligne Cotidianul.ro.
Organisation pour la paix, Sydney, médaille d’or.
Prix Martha Gellhorn du journalisme.
Prix de la fondation Walkley pour une contribution notable au journalisme.
Prix Voltaire de la liberté d’expression.
2012 : Prix Big Brother, Héros de la vie privée.
2013 : Prix Global Exchange : Human Rights, choix des lecteurs.
Prix Yoko Onno Lennon du courage.
PUBLICATIONS
Ouvrages traduits français :
Underground, éditions des Equateurs, 2011 (avec Suelette Dreyfus).
Menaces sur nos libertés, Robert Laffont, 2013 (collectif).
Contre l’Empire de la surveillance, éditions Galilée, 2015 (avec Noam Chomsky et Ignacio Ramonet).
CE QU’IL GAGNE
Dans la période qui a suivi les premières révélations de WikiLeaks, le compte en banque de Julian Assange, enregistré en Suisse, a été suspendu par l’établissement bancaire PostFinance, en raison d’informations erronées quant à sa domiciliation.
Par ailleurs, d’après le Wall Street Journal, Julian Assange aurait signé un contrat avec la maison d’édition américaine Random House pour la publication de ses mémoires aux États-Unis et au Royaume-Uni, pour un montant supérieur à 1 millions de dollars.
Pour sa part, Julian Assange affirmait en 2012 être ruiné et n’avoir pas touché un sous de ses activités publiques.
IL L’A DIT
« Internet, notre plus grand outil d’émancipation, a été transformé en le plus dangereux facilitateur de totalitarisme qui n’a jamais existé.» Cypherpunks, OR Books, 2012.
« Mon nom est Julian Paul Assange. Je suis né le 3 juillet 1971 à Townsville, en Australie. Je suis un journaliste poursuivi et menacé de mort par les autorités états-uniennes du fait de mes activités professionnelles. Je n’ai jamais été formellement accusé d’un délit ou d’un crime de droit commun, nulle part dans le monde, y compris en Suède ou au Royaume-Uni […] L’énumération des actions menées contre mon organisation, mes proches et moi-même ne permet pas d’en saisir toute la violence, mais peut-être en donne-t-elle une idée : appels à mon exécution, à mon kidnapping, et à mon emprisonnement pour espionnage par de hauts responsables politiques et administratifs états-uniens, vols d’informations, de documents et de biens, attaques informatiques répétées, infiltrations successives, interdiction illégale à l’ensemble des plateformes de paiement de procéder à des dons envers mon organisation, surveillance permanente de mes moindres faits et gestes et de mes communications électroniques, poursuites judiciaires inconsidérées se prolongeant depuis plus de cinq ans sans possibilité de me défendre, campagnes de diffamation, menaces physiques répétées, fouilles et harcèlement de mes avocats, etc.», 3 juillet 2015, Le Monde.
« Dénué de l’assistance consulaire et de la protection que me devait mon pays d’origine, l’Australie – où le gouvernement a été sujet à des critiques d’une ampleur inédite suite à sa tentative de me retirer mon passeport en 2010, jusqu’à devoir faire marche arrière et se justifier –, je demeure depuis maintenant trois ans et dix jours au sein de cette ambassade.
J’y dispose de cinq mètres carrés et demi pour mes usages privatifs. L’accès à l’air libre, au soleil, m’a été interdit par les autorités du Royaume-Uni ; ainsi que toute possibilité de me rendre à un hôpital ; je n’ai pu utiliser le balcon du rez-de-chaussée de l’appartement que trois fois depuis mon refuge, à mes risques et périls, et n’ai jamais été autorisé à sortir pour faire de l’exercice », Ibid.
« Souvent dans l’histoire, révéler brutalement au peuple une information jusque-là tenue secrète par les élites a provoqué de grands bouleversements politiques et sociaux […] Or n’importe quel texte, n’importe quelle image peuvent être montrés au monde entier en un instant, pour un coût minime. […] Aujourd’hui, on peut provoquer de grandes réformes politiques avec une très faible dépense d’énergie », Le Monde, 24 décembre 2012.
« [L’espionnage de la France par les Etats-Unis, NLDR] touche directement l’emploi. Le chômage est particulièrement élevé en France, et il y a une raison à cela : les États-Unis jouent un sale jeu, et cherchent à marginaliser la compétitivité des entreprises françaises, et des entreprises européennes », TF1, 24 juin 2015.
«Vous pouvez soit être informé et être vos propres gouvernants, ou bien être ignorants et avoir quelqu’un d’autre, qui n’est pas ignorant, vous gouverner », Rolling Stone, janvier 2012.
«Je ne suis pas en croisade contre l’autorité. L’autorité légitime est importante. Toutes les structures humaines demandent de l’autorité, mais l’autorité doit faire l’objet d’un consentement informé de la part des gouvernés. Actuellement, le consentement, s’il y en a un, n’est pas informé, de fait il est illégitime. Pour communiquer du savoir, nous devons protéger la vie privée des gens, et c’est ce que je fais depuis 20 ans : développer des systèmes et des idéaux pour protéger le droit des gens à communiquer de manière privée, sans interférence gouvernementale, ni surveillance.
Le droit à la communication sans surveillance gouvernementale est important, parce que la surveillance n’est jamais qu’une autre forme de censure. Lorsque les gens craignent de s’exprimer parce qu’ils pensent qu’ils pourraient être écoutés par le pouvoir, qui a la possibilité de les enfermer, ils adaptent leur discours. Ils commencent à s’autocensurer », Ibid.
«Les commentateurs ont souligné la façon dont le monde essayait d’ériger un mythe autour de ma personne, qu’il soit négatif ou positif. Un procédé à la fois fascinant, terrifiant, et comique, qui a suscité beaucoup d’hilarité parmi mes proches et mes collaborateurs. Nous faisons face à une situation qui nous engage historiquement, et dont les conséquences sur la vie des gens et les édifices politiques sont considérables. La nature de ces conséquences, extrêmement importantes, va des révolutions aux emplois de nombreux individus, et la gravité de cette entreprise est tellement grande est que je n’ai pas le temps de considérer comment cette notoriété m’affecte personnellement.» Ibid.
ILS L’ONT DIT
«C’est un traître qui a enfreint toutes les lois des États-Unis. Je suis contre la peine de mort, en conséquence je pense qu’il faut illégalement abattre cet enfoiré […] Un homme mort ne peut rien faire fuiter », Bob Beckel, Fox News, 2010.
«Grand, mince, élégant, Julian Assange, fondateur et patron de WikiLeaks, s’impose d’abord à ses interlocuteurs comme un orateur talentueux, à la voix grave et posée, sachant manier la rigueur, l’humour, l’émotion, mais aussi le sarcasme. En le regardant travailler, on découvre un professionnel surdoué, ultra-performant : dès qu’il se lance dans un projet, il s’y consacre totalement, nuit et jour, jusqu’à épuisement.» Le Monde, 24 décembre 2010.
«Il a été décrit comme un violeur, un combattant ennemi, un agent du Mossad ou de la CIA. Ses deux collaborateurs principaux – le New York Times et le Guardian – l’ont à de nombreuses reprises qualifié de déviant sexuel aux mœurs dissolues, tout en continuant à faire la promotion des livres et des films sur ses exploits. Sa personnalité est controversée : il est charmant, brillant et incorruptible, mais a suscité l’aversion profonde de ses anciens collègues, qui le décrivent comme un mégalomaniaque à l’égo surdimensionné, qui aurait endommagé leur cause », Rolling Stone, janvier 2012.
«De fait, Julian Assange appartient à cette frange rare d’Anglo-Saxons briseurs de tabous. Ange pour les uns, démon pour les autres, résolument à contre-courant, borderline, scandaleux, il est de la race de ces non-conformistes qui cassent les codes et pulvérisent les conventions. D’Oscar Wilde, de Lawrence d’Arabie ou d’Alan Turing, Assange possède le même génie inquiétant, la même marque de fabrique, celle qui fait que grâce à eux le monde n’est plus tout à fait comme avant », L’Hebdo (Suisse), mars 2015.