C’est dur d’être aimé par des cons!

Retour sur la publication des caricatures du prophète et ce qui s’en suivit…

Daniel Leconte, vous êtes le réalisateur et le producteur de C’est dur d’être aimé par des cons, et vous, Philippe Val, celui par qui le scandale, donc le film, est arrivé : vous dirigiez alors Charlie Hebdo et c’est vous qui avez décidé de publier les caricatures de Mahomet. Beaucoup de gens se sont demandé pourquoi, dans la flopée de reportages, émissions, documentaires diffusés après les attentats, on n’a pas pu voir ce film à une heure de grande écoute.

Daniel Leconte. Je m’interroge, effectivement, comme vous, et je m’interdis pour l’instant de tirer de mauvaises conclusions. Dès le 7 janvier, France 2 m’a demandé une priorité sur la diffusion du film. Mais le jour suivant, on m’a dit que certaines choses ne passaient plus aujourd’hui ; quand j’ai essayé de savoir lesquelles, on m’a répondu que la Mosquée de Paris et la médiation musulmane de Paris, qui avaient porté plainte contre Charlie en 2006, n’étaient pas sur la même position aujourd’hui. Je ne dis pas que cet argument n’est pas recevable en soi, mais il aurait suffi d’organiser des plateaux pour contextualiser le film et décrypter ce qui s’est passé depuis. La vraie raison de ce refus est la gêne qu’ils ont à reconnaître que tout était déjà dit il y a neuf ans et qu’ils n’ont rien vu ou rien voulu voir. C’est humain mais tellement ordinaire.

Philippe Val. Recevable ? C’est tout de même une façon de réviser l’histoire. Que l’on ait renoncé à diffuser ce film me paraît symptomatique de notre façon de faire l’info. On se contente de voir et de revoir la photo de ce qui vient d’arriver, mais on ne cherche pas une seconde à comprendre pourquoi c’est arrivé. L’explication se trouve évidemment dans l’histoire et l’histoire est dans le film de Daniel Leconte. Mais on préfère jeter des faits en pâture au public plutôt que de lui donner le recul historique nécessaire.

D. L. Mais il y a des réactions beaucoup plus enthousiastes – et pas mal de retournements. Parmi les gens qui célèbrent aujourd’hui Charlie, beaucoup, au moment de la sortie du film, avaient mené une offensive extrêmement dure contre nous. Y compris dans le milieu du cinéma, avec des exploitants de salles qui avaient organisé le silence autour du film. Aujourd’hui, les mêmes diffusent une circulaire conseillant d’aller voir le film. Alors tant mieux s’ils ont compris avec le temps, mais enfin…

Ph. V. C’est-à-dire qu’il a fallu dix-sept morts pour qu’un certain circuit de cinéma « devienne Charlie ». Et quand on leur disait que tout ce qu’on racontait pouvait finir par les atrocités que l’on a vues, ils étaient très remontés contre nous…

 Mais ils avaient le droit d’être contre les caricatures, cela les rend-il responsables des attentats ? Ce serait un comble d’interdire le désaccord pour défendre nos libertés. D’ailleurs, beaucoup de gens pensent toujours qu’il ne faut pas offenser les croyances des autres et les morts, les églises détruites après la parution du premier Charlie post-attentats ne vont pas les faire changer d’avis. Que répondez-vous à ceux qui disent que nous ne sommes pas les payeurs et que, dans un monde ouvert, la responsabilité devrait limiter notre liberté ?

Ph. V. C’est une question bizarre ! Renonceriez-vous à dire ou à écrire des choses aussi banales que « la laïcité, ça sert à vivre ensemble » ou « les religions ne doivent pas imposer leurs réglementations dans les zones de vivre-ensemble des pays laïques », si on vous prévenait que vos propos ou écrits vont faire des morts ailleurs ? Non, tout simplement parce que cela signifierait renoncer à l’exercice de la raison. Et qu’on l’exerce avec des mots ou avec des caricatures, sérieusement ou en déconnant, au premier ou au second degré ne change rien à l’affaire. Nous avons mis des siècles à élaborer des systèmes de pensée, puis de gouvernement, fondés uniquement en raison, ce qui nous a permis de créer des sociétés où on peut vivre ensemble malgré nos différences. Et parce que des gens ne l’acceptent pas, il faudrait que nous y renoncions ? Mais renoncer à la raison, ce serait mourir !

D. L. J’ajoute qu’après le 11 janvier, votre question est datée. Il s’est passé quelque chose d’énorme. Les Français ont dit « Non ». Ils ont donné tort à leurs « élites », et surtout à leurs « élites » médiatiques. Toutes proportions gardées, il y avait, dans l’ampleur et les motivations, quelque chose de comparable à la libération de Paris. Comme en 1944, les Français sont descendus pour honorer ceux des leurs « morts pour la France » et pour désavouer les « élites » qui les avaient trahis. Le 11 janvier, ils ont dit très calmement qu’ils refusaient de se laisser bander les yeux, parce qu’on avait touché à ce qui nous fait nous, les Français, et dans ce qu’on a de meilleur. Alors, on a essayé de nous enfermer dans ce débat sur la responsabilité, comme on l’avait déjà fait il y a neuf ans, pour nous faire taire Philippe, moi et tous ceux qui tentaient de dire la réalité des choses. Très vite, comme le soulignait Lanzmann après le 11septembre, certains médias se sont contentés de « génuflexion hâtive avant de revenir à leurs vieilles antiennes ». J’espère bien cette fois-ci que la diversion échouera.

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