Une procédure judiciaire vient d’être ouverte contre Apple, soupçonné de « trafiquer » ses anciens iPhones en utilisant des mises à jour qui les rendraient moins performants. Les consommateurs fidèles à la marque à la pomme seraient, selon ses détracteurs, poussés de cette manière à renouveler leurs produits. Même si la culpabilité d’Apple est loin d’être prouvée (attendons les conclusions de l’enquête), cette affaire montre que l’industrie est axée sur « l’obsolescence programmée ». C’est une drogue dont le monde aura beaucoup de mal à se défaire. Car si les produits duraient dix ans au lieu de trois comme actuellement, l’industrie s’effondrerait, la croissance diminuerait fortement (voire deviendrait négative). Même si l’industrie pèse de moins en moins dans l’économie, un passage à des produits « durables » se traduirait mécaniquement par un bond de 10 % du chômage, insupportable pour n’importe quel gouvernement. Et si, suite à ce changement de paradigme, notre PIB recule, la montagne des emprunts à rembourser deviendra impossible à rembourser. Aussi le pouvoir est-il hypocrite quand il affirme vouloir lutter contre « l’obsolescence programmée » car celle-ci est son alliée à court et à moyen terme, et il est incapable de s’en passer.
Mais la situation peut évoluer et un autre modèle de consommation émerger. Vivre aussi bien voire mieux que maintenant en utilisant moins d’énergie ou de matières premières est un objectif raisonnable et accessible. Mais ce nouvel équilibre n’émergera que lentement, tant il nécessite d’ajustements, notamment dans le domaine du temps de travail et de la distribution de revenus.
Les difficultés que rencontrent deux ingénieurs illustrent ce propos. Ils ont mis au point, en 2014, une machine à laver « increvable » destinée à durer cinquante ans, mais ils n’ont toujours pas trouvé de partenaire industriel et commercial en 2018, malgré l’enthousiasme des consommateurs lorsque leur projet est sorti dans la presse. De même, le constructeur néerlandais de smartphones Fairphone écoule, en un an, 140.000 exemplaires de son modèle, destiné à durer cinq ans, car il est conçu par modules évolutifs et réparable. Or, Apple en vend autant en cinq heures alors que les réparations de ses téléphones sont quasiment impossibles à effectuer, mais, sans doute, le portable de Fairphone n’a pas et de loin les qualités des iPhones.
Néanmoins, Seb, le fabricant d’électro-ménager, mise depuis 2008 sur des produits réparables qui durent dix ans. Son chiffre d’affaires augmente régulièrement ; il a donc trouvé le bon créneau. Tous domaines confondus, le marché des pièces détachées croît de 10 à 15 % par an. Nous sommes donc sur la bonne voie et le changement se fera en douceur.
Néanmoins, cette transformation pourtant nécessaire se heurtera à une constante du caractère humain : le désir de renouvellement. Garder cinquante ans la même machine à laver, même si elle continue à marcher, est lassant et, au bout de trois ans (la durée programmée des amours chez l’homme), on a envie de la changer !