Installés depuis plusieurs siècles dans le paysage parisien, les bouquinistes sont aujourd’hui des monuments. À ceci près que, contrairement aux monuments, ils ne sont pas faits de pierres et de ciment, mais de chairs et d’os, et qu’ils pourraient bien disparaître.
Sur la rive droite, entre le Louvre et l’Hôtel de ville, ce jour est peut-être arrivé. « Pendant 22 ans j’ai pu vivre de ce que je gagnais. Mais depuis un an c’est presqu’impossible. Aujourd’hui par exemple je n’ai empoché que cinq euros » explique Gislaine, vendeuse d’affiches de mode vintage.
Mais comment en est-on arrivé là ?
Internet, une menace pour la brocante
Qu’est-ce qu’un quai face à l’accessibilité, la rapidité et l’immensité d’Internet ? Pas grand-chose. Nombreux sont les amateurs d’objets anciens à préférer Internet. Les bouquinistes en ont bien conscience : « La plupart d’entre nous ont également une boutique en ligne » souligne Gilles, bouquiniste depuis 12 ans, spécialisé dans les livres anciens. « C’est d’ailleurs ce que nous recommande la maire de Paris » ajoute-t-il. Matthieu, son voisin, fait à peu près 10% de son chiffre d’affaire sur internet. « Surtout des livres chers, assure-t-il, d’une valeur supérieure à 100 euros, ce que les passants peuvent rarement dépenser ».
Terrorisme contre tourisme
Les attentats qui ont frappé Paris ont fait chuter le tourisme dans la capitale. Or, moins de tourisme, c’est aussi moins de fréquentation sur les quais. Un coup supplémentaire pour les bouquinistes, dont la clientèle serait composée de 50% de touristes, selon Gilles. Internet, attentats, deux catastrophes pour un commerce fragile, auquel un troisième bouleversement pourrait bien mettre fin.
En voulant redonner vie aux berges de la rive droite, madame Hidalgo a peut-être porté le coup fatal. Première conséquence, pour les bouquinistes : la saturation routière des quais. C’est dans un vacarme de moteurs, klaxons et sifflets policiers, que Gislaine nous confie : « Qui voudrait flâner à côté d’une autoroute ? À certaines heures on doit crier pour s’entendre ». Mais ce n’est pas tout, puisque la mairie, pour justifier son initiative, incite désormais les piétons à emprunter les voies sur berge, et donc, fatalement, à éviter les étalages des bouquinistes…
Quel avenir pour la profession ?
Pour compenser la baisse des ventes, les bouquinistes cherchent de nouveaux profits. La grande majorité s’est diversifiée dans la vente de souvenirs. Sacs en toile, porte-clefs, cartes postales, et autres bibelots attractifs, sur lesquels ils font malheureusement peu de profits. D’autres comptent sur une clientèle d’habitués ou sur les ventes en ligne. Le reste est obligé de trouver un travail à côté, pour multiplier les revenus.
« Mais ce qui nous fait vivre, surtout, c’est la passion », assurent-ils unanimement.
Gilles, quant à lui, n’est pas très optimiste : « La Mairie pourrait ne pas renouveler la location des boxes. Nous ne rapportons pas d’argent (70 euros par an par box, ndlr), nous sommes encombrants, et la municipalité cherche partout des profits pour se désendetter. À terme les bouquinistes pourraient être restreints à un petit bout de quai, pour maintenir le strict minimum culturel et touristique de ce vieux commerce essoufflé ».