Après des mois de négociations, les autorités françaises et américaines devaient signer lundi matin un accord portant sur la création d’un fonds d’indemnisation doté par la France de 60 millions de dollars versés à Washington en faveur des milliers de victimes américaines transportées par les trains de la SNCF vers les camps de concentration entre 1942 et 1944. Un accord conclu sur fond de projets commerciaux, marqué par la crainte de Paris de voir échapper à la compagnie nationale le marché américain et qui, aux yeux mêmes de nombreux déportés, ressemble plus à une transaction qu’à un réel acte de repentance.
Contrats en vue
Rappelons que, en 2011, le groupe avait reconnu avoir été un « rouage de la machine nazie d’extermination » et qu’un mécanisme de compensation pour les victimes de la déportation était déjà en place. Il couvrait tous les citoyens français, y compris les binationaux, qui étaient en France au 1er septembre 1939. Mais pas les étrangers, dont beaucoup d’Américains.
Ainsi, lorsque des diplomates des deux pays ont entamé ces négociations le 6 février dernier à Paris, un porte-parole de l’ambassade de France aux Etats-Unis a expliqué être « dans une discussion avec les autorités américaines pour nous assurer qu’on ne laisse pas des gens de côté », et faire en sorte que les mécanismes de compensation « puissent aussi s’appliquer à d’autres victimes qui n’entraient pas dans les critères initiaux ».
En fait, cette situation mettait surtout en péril de nombreux contrats outre-Atlantique. Plusieurs élus américains et d’anciens déportés demandaient en effet des comptes directement à la SNCF, comme Léo Bretholtz, à l’origine d’une pétition qui a recueilli à ce jour 108 000 signatures. Ou encore ces deux élus du Maryland qui devaient présenter une proposition de loi restreignant l’accès de la SNCF aux marchés publics tant qu’elle n’aurait pas versé d’indemnités pour son rôle dans la déportation des juifs. Ces élus exigeaient notamment de la compagnie nationale qu’elle indemnise les survivants et leurs familles avant de pouvoir se porter candidate, via sa filiale Keolis America, à un projet public-privé de six milliards de dollars, portant sur la création et l’exploitation d’une ligne ferroviaire de 25 kilomètres.
Au Congrès même, plusieurs élus avaient aussi déposé un projet de loi pour autoriser des poursuites contre la SNCF, après un précédent texte infructueux déposé deux ans auparavant.
L’ardoise pour le contribuable
Bref, pour pouvoir décrocher des contrats outre-Atlantique, la SNCF se devait d’ouvrir son porte-monnaie. Ou plutôt la France. Car l’entreprise rejetant la responsabilité de ces déportations sur l’Etat français, c’est ce dernier, autrement dit les contribuables, qui devront payer. Aux termes de cet accord, a en effet expliqué vendredi l’ambassadrice française aux Droits de l’homme, Patrizianna Sparacino-Thiellay, Paris alimentera ce fonds d’indemnisation de 60 millions de dollars qui permettra à chaque déporté survivant, aujourd’hui de nationalité américaine, de recevoir environ 100 000 dollars. En contrepartie de quoi, les Etats-Unis s’engagent à défendre l’immunité de juridiction dont bénéficient les entreprises étrangères sur leur sol, qui les protège de toute poursuite judiciaire ou de toute autre forme d’action.
Un accord qui entrera en vigueur quand le Parlement français l’aura validé sous la forme d’un amendement à la loi de 1948.
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