«Être le porte-voix des classes populaires est ma plus grande fierté» Eric Zemmour

 

 Le suicide français caracole en tête des ventes, mais suscite une vive controverse médiatique. Certains médias vous accusent d’être «homophobe», «islamophobe», «sexiste» et même de vouloir réhabiliter le régime de Vichy. Que vous inspirent ces critiques?
Eric ZEMMOUR: Que le ridicule ne tue pas! On est allé jusqu’à m’accuser de nier le génocide juif dont mes parents ou mes grands-parents auraient pu être victimes. Dès qu’on ne se couche pas devant la doxa, on est immédiatement accusé d’agresser une catégorie de personne. Dès qu’on tente d’analyser une société sans faire l’éloge de «la magnifique liberté, égalité, fraternité dans laquelle nous baignons», on est immédiatement taxé de racisme ou d’homophobie. Il n’y a rien à répondre à cela. Mes adversaires idéologiques ne me critiquent pas, ils m’invectivent pour cacher l’inanité de leurs arguments. Cela révèle que le débat en France est désormais impossible. Il a été remplacé par l’insulte.
J’ai toutes les raisons de vouer Vichy aux gémonies : mon grand-père aurait été déporté si les Allemands étaient entrés en Algérie.

Si les critiques qui vous sont adressées relèvent bien souvent du procès en sorcellerie, toutes ne sont pas forcément malhonnêtes. En quoi votre livre a-t-il pu être mal compris?
Il n’a pas été mal compris. Soit, il n’a pas été lu, soit il a été volontairement incompris. Consacrer quinze jours de polémique à Vichy alors que cela ne représente que sept pages de mon livre sur 540, relève de la malhonnêteté intellectuelle. Il s’agit d’une entreprise de délégitimation.

Comment défendre l’assimilation selon Vichy, un régime qui a institué le statut des juifs?
Je n’ai en aucun cas voulu réhabiliter Vichy. Encore une fois la réduction médiatique a transformé le propos de mon livre. En ce qui concerne l’assimilation, elle n’est pas née avec Pétain, mais avec la France et en particulier avec la République. Ne pouvant se reposer sur la figure rassembleuse du roi, celle-ci doit faire du droit et instaure la distinction entre Français et étrangers. Dans mon livre j’explique que l’historien Robert Paxton règle ses comptes avec la France et avec la République à travers Vichy. Selon lui, les Français auraient accepté de livrer des juifs étrangers parce qu’ils étaient trop assimilationnistes. Il reproche à Vichy d’avoir distingué juif français et juifs étrangers et nie cette distinction. Il ne s’agit donc pas de réhabiliter le régime de Vichy comme tous les imbéciles le répètent, mais de montrer qu’à partir de ce nœud gordien, on niera toutes distinctions entre Français et étrangers. C’est cette logique qui conduit aujourd’hui les associations à crier à la rafle du Vel d’Hiv dès que l’Etat renvoie un clandestin dans son pays d’origine. J’ai tenté de comprendre le fil idéologique qu’on avait déroulé depuis l’œuvre de Paxton. Pour cela, il a fallu que je prenne de la hauteur et de la distance notamment par rapport à mon histoire familiale. J’ai toutes les raisons de vouer Vichy aux gémonies: mon grand-père aurait été déporté si les Allemands étaient entrés en Algérie. Mais tout cela est difficile à résumer à la télévision.

A lecture de votre livre, on est frappé par votre capacité à tout conceptualiser. Etes-vous parfois tenté de tordre la réalité pour la faire entrer dans votre système de pensée?
Je ne tords pas la réalité. En revanche, il est vrai que je vais au bout de ma logique et que la réalité me donne parfois tort car la vie n’est pas toujours logique et demeure imprévisible. La réalité est plus indocile que la raison. Tous les grands stratèges militaires savent que la guerre réserve des surprises. Il en va de même dans le domaine des idées.
Jadis l’israélite qui voulait s’agréger au peuple français était valorisé, aujourd’hui il est au mieux brocardé, au pire agressé. On me reproche d’être trop français et on s’obstine à voir en moi le juif selon le raisonnement typique de l’antisémite. L’obsession raciale que les antiracistes prêtent aux autres est en réalité la leur …

Vous ne faites aucune concession à la génération 68?
Ma critique en bloc de mai 68 est idéologique. Cela ne veut pas dire que je déteste tout dans la génération 68. Par exemple, je suis fan des Rolling stones! Ma chanson préférée est Sympathy for the Devil, l’incarnation même de l’esprit des années 60-70. Il y a beaucoup de choses que j’adore dans l’explosion juvénile de cette génération en particulier la musique et le cinéma. J’écris d’ailleurs que les succès d’aujourd’hui sont des films réactionnaires, mais qu’ils sont beaucoup moins réussis que les films nihiliste des années 70. Je préfère bien sûr les Valseuses à Bienvenue chez les Ch’tis. Le premier est un grand film tandis que le second est médiocre.

Pourquoi jouer autant la carte de provocation médiatique?
Il y a une nuance entre jouer le jeu de la provocation et provoquer. Je provoque à travers mes idées. C’est je crois le but de tout auteur. Sinon, pourquoi écrire? Pourquoi s’exprimer? En revanche, je ne joue pas. Bien qu’on prétende le contraire, je ne dis jamais telle ou telle phrase pour faire le buzz à la télévision. Je défends simplement les idées auxquelles je crois. Le journal Libération me reproche de surfer sur des idées nauséabondes pour faire parler de moi et faire de l’argent. C’est faux. Pourquoi n’aurais-je pas le droit de défendre des idées avec sincérité, avec pugnacité? Pourquoi aurais-je des arrière-pensées mercantiles ou médiocres? Je trouve cette vision du débat assez triste. Personnellement, je reconnais à mes adversaires une certaine intégrité, je préfère les créditer «d’idées» plutôt que de leur faire des procès d’intentions.

Vous reconnaissez-pourtant qu’en vous retrouvant dans l’émission de Laurent Ruquier, On est pas couché!, vous avez utilisé le système politico-médiatique pour mieux le subvertir? Le risque n’est-il pas de devenir vous-même un acteur de la société du spectacle que vous dénoncez?
Moi, j’ai des mains et parfois je me les salis. C’est le prix à payer pour faire avancer les idées auxquelles je crois.
Vous avez raison en ce qui concerne mes cinq années à On n’est pas couché. En me retrouvant dans l’émission de Laurent Ruquier, j’ai découvert comment la société du spectacle était depuis 40 ans au service de l’idéologie antiraciste, féministe, islamophile, libre-échangiste et sans frontièriste! Avec cette émission, j’étais au cœur du réacteur. Petit à petit, j’ai compris qu’on pouvait retourner le système et le subvertir, ce que j’ai fait: d’abord naïvement, puis consciemment et volontairement. C’est d’ailleurs pour ça que j’ai fini par me faire virer. Mais ça n’a rien à voir avec le livre!

Certes, mais le personnage médiatique que vous êtes devenu fait parfois oublier l’intellectuel que souhaitez être. Vous aimez rappeler que le «capitalisme est révolutionnaire» … n’est-il pas en train de faire de Zemmour un produit comme les autres?
Peut-être. C’est le risque. Mais Marcel Proust réclamait à son éditeur de la réclame. C’était pourtant un pur esprit et un grand écrivain. Il n’y a pas de honte à vouloir être lu. On ne va pas me reprocher d’utiliser les moyens modernes qui sont à ma disposition alors que par ailleurs on m’accuse de vouloir revenir à la lampe à huile! Je reconnais que parfois, c’est salissant. A propos du Kantisme, Charles Péguy disait, «il a les mains purs, par malheur il n’a pas de mains.» Moi, j’ai des mains et parfois je me les salis. C’est le prix à payer pour faire avancer les idées auxquelles je crois.

Vous êtes devenu le porte-voix des classes populaires et vous ne manquez pas de dénoncer l’oligarchie médiatique. Vous en êtes pourtant un des membres?
Etre le porte-voix des classes populaires est ma plus grande fierté. Je suis heureux que les gens m’interpellent dans la rue pour me le dire. J’ai l’impression d’être resté fidèle à mes origines sociales, de ne pas avoir trahi d’où je viens. Tout cela touche à des sentiments très profonds. Ma plus grande peur est effectivement de me couper du peuple et de rester enfermé dans ma tour d’ivoire médiatique. C’est un risque qu’il faut que je conjure. J’ignore encore comment.

On vous a reproché d’avoir «le complexe du juif assimilé»…
Jadis l’israélite qui voulait s’agréger au peuple français était valorisé, aujourd’hui il est au mieux brocardé, au pire agressé. On me reproche d’être trop français et on s’obstine à voir en moi le juif selon le raisonnement typique de l’antisémite. L’obsession raciale que les antiracistes prêtent aux autres est en réalité la leur. Je le démontre à travers le chapitre sur la France, black, blanc, beur. L’équipe de 1998 n’était pas plus métissée que celle de Platini en 1982 ou même celle de 1958. Le football français a toujours puisé, à l’instar de ce qui se passait dans les usines, dans l’immigration du moment, belge, polonaise, italienne, espagnole, kabyle, africaine. C’est le regard qu’on porte sur elle qui a changé. Kopa, Platini, Tigana ou Trésor étaient regardés comme des Français, pas des descendants de Polonais, Italiens, Espagnols, Antillais, Africains.
Peut-être y-a-t-il aussi une dimension sociale dans le rejet dont je suis l’objet? Comme, je suis le porte-voix des classes populaires et que j’en viens, je suis associé dans le mépris dans lequel une partie des élites tient celles-ci. Nous avons une preuve de plus de la validité de la thèse de l’historien et sociologue américain Christopher Lasch: les élites ont fait sécession du peuple et tout ce qui vient de celui-ci est méprisé et rejeté. Cela fait écho à la diabolisation du terme populiste. Qu’est-ce que le populisme si ce n’est le refus du peuple français d’accepter la dénaturation et la destruction de son mode et de son art de vivre. En réalité, le populisme est quelque chose de très noble: c’est Gabin en 1936!
Les polémiques ont servi d’écrans de fumée pour ne pas parler du cœur livre : une critique globale du libéralisme mondialisé dont l’immigration n’est qu’un élément.

Votre livre est avant tout un impitoyable réquisitoire contre le libéralisme sous toutes ses formes. Cela a finalement été très peu relevé…
Les polémiques ont servi d’écrans de fumée pour ne pas parler du cœur livre: une critique globale du libéralisme mondialisé dont l’immigration n’est qu’un élément. Est-ce vraiment un hasard si personne ne me parle du portrait que je fais de l’ancien président de Renault Louis Schweitzer? Est-ce vraiment un hasard si personne ne me parle de mon chapitre sur l’entrée de la Chine dans l’OMC? Est-ce vraiment un hasard si personne ne me parle des pages que je consacre à l’Euro? On me reproche de faire «mon cirque à la télévision», sauf que les passages importants de mon livre sont étrangement passés sous silence. Beaucoup de journalistes ne lisent pas ou lisent mal et éludent les questions qui fâchent réellement. Ils préfèrent jouer avec Vichy pour me délégitimer et surtout pour délégitimer ma critique de la globalisation.

Diriez-vous que vous êtes trop à droite pour la gauche et trop à gauche pour la droite?
Exactement, la gauche a abandonné le peuple et la droite a abandonné la nation. Moi, je cherche à m’adresser au peuple et je célèbre la nation. Mais ce côté inclassable finalement me convient. Je refuse de rentrer dans la cuisine politicienne. Je n’ai pas fait un livre de politicard, mais un livre politique, au sens idéologique du terme. L’UMP, le PS et le FN ne m’intéressent pas. Il y a beaucoup de lecteurs de gauche qui me lisent et qui aiment ce que j’écris et beaucoup de lecteurs de droite, notamment les vrais libéraux, qui n’aiment pas les idées que je défends. C’est d’ailleurs leur droit le plus strict. Ils ont le mérite d’être cohérents.
Pour moi, il n’y pas de formule intermédiaire : la République, ça reste, « assimile-toi ou rentre chez toi ! ». Or, lorsque je tiens ce type de discours authentiquement républicain, on me traite d’antirépublicain.

Alors qu’autrefois, vous mettiez votre critique de la modernité au service de l’idéal républicain (au sens où l’entendait les révolutionnaires de 1789), vous semblez aujourd’hui tenté par une vision plus identitaire de la France. Croyez-vous toujours en la République?
Si j’emploie moins le mot République que dans mes précédents livres, c’est d’abord parce qu’il a été retourné. Aujourd’hui, c’est Harlem Désir qui se dit républicain alors que SOS racisme a contribué à détruire la République. Il y a six mois, à l’occasion du trentième anniversaire de la Marche des beurs, il a déclaré: «Avant SOS racisme, avant la marche des beurs en France, c’était assimile-toi ou rentre chez toi. Avec la Marche des beurs et SOS Racisme, on a trouvé la formule intermédiaire.» Or, pour moi, il n’y pas de formule intermédiaire: la République, ça reste, «assimile-toi ou rentre chez toi!». Or, lorsque je tiens ce type de discours authentiquement républicain, on me traite d’antirépublicain. La République d’Harlem Désir est le contraire de la République de Jules Ferry.
En fait, celle-ci pourrait être résumée en trois mots: citoyenneté, assimilation et laïcité. Malheureusement, tout cela n’existe plus. Tout cela est mort parce que les élites l’ont abandonnée et parce que des territoires entiers ont été submergés par l’immigration. L’assimilation républicaine fonctionne parfaitement avec des individus, mais ne peut pas fonctionner avec des peuples entiers. «Les territoires perdus de la République» racontés dans un livre devenu célèbre sont en réalité les territoires perdus de la France. La République, c’est la souveraineté de la nation. Quand la nation n’est plus souveraine, la République existe-t-elle encore? Il faut d’abord rétablir l’Etat nation. Ensuite, il faudra reconstruire la République.

Votre livre se termine par la phrase: «la France se meurt, la France est morte». Un constat nihiliste?
Du nihilisme non, mais de la désespérance oui … Les maux sont tels qu’il n’y a plus de solutions pacifiques et raisonnables envisageables. Je ne vois plus d’issue.
Reconstruire demeure impossible. Les déconstructeurs sont toujours au pouvoir […] Les gens qui partagent mon diagnostic ne sont ni à la tête de l’Etat, ni dans la haute fonction publique, ni dans les grandes entreprises, ni dans les médias.

Votre livre se propose de déconstruire les déconstructeurs. N’est-il pas plus urgent de reconstruire?
Non, reconstruire demeure impossible. Les déconstructeurs sont toujours au pouvoir. Bien que minoritaire dans le peuple, l’idéologie dominante reste majoritaire chez les élites. Toutes les conséquences du nihilisme et de la désintégration des quarante dernières années n’ont pas été tirées. Ce n’est pas fini, nous n’avons pas encore touché le fond. Cela ne sert à rien de présenter des solutions, si nous ne sommes pas d’accord sur le diagnostic. Or, nous ne sommes pas d’accord sur le diagnostic. Les gens qui partagent mon diagnostic ne sont ni à la tête de l’Etat, ni dans la haute fonction publique, ni dans les grandes entreprises, ni dans les médias. Nulle part.

Nicolas Dupont-Aignan vous a proposé d’être candidat aux européennes. Votre refus de vous engager n’est-il pas un peu lâche?
Aujourd’hui, ce serait contre-productif. La politique active nous enferme. Il faut rester au-dessus ou à côté pour mener le combat culturel. C’est une autre forme d’engagement auquel je m’emploie.

Mai 68 a d’abord été une victoire culturelle. Le succès de votre livre participe-t-il du «mai 68 conservateur» (Gaël Brustier)?
Je l’ignore. Mais le succès de ce livre prouve qu’une partie du peuple français ne veut pas mourir. Je ne sais comment cela va se traduire et si au bout du compte on se dirigera vers une vraie révolution culturelle. Mais c’est pour cela que j’écris. C’est pour cela que j’ai écrit Le suicide français.

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