1717–2017 : 300 ans de mystères maçonniques


George Washington première pierre Maison Blanche
Sur cette peinture d’un style un peu naïf, George Washington, premier président des États-Unis, arborant tablier et insigne révélant son grade maçonnique, pose rituellement la première pierre de la future Maison Blanche. Le « bijou » (terme d’usage) qu’il porte en sautoir est celui du 14e degré du Rite Écossais Ancien et Accepté : Grand Élu de la Voûte Sacrée. Cette voûte (étoilée) figure sur le drapeau américain.

Il y a exactement 300 ans, lors du solstice d’été de 1717, dans une taverne de Londres qui se nommait l’Oie et le Grill(1), des messieurs très érudits et surtout passionnés par les mystères du passé, tels que l’alchimie, les Templiers et les secrets des cathédrales, se réunirent pour fonder une société initiatique : la Franc-Maçonnerie. Il convient de préciser qu’il s’agit là de la fondation officielle car divers cénacles existaient auparavant et étaient reliés aux corporations de constructeurs. Il n’entre pas dans mon propos de présenter ici un résumé de l’histoire de la Franc-Maçonnerie dès lors que tout est dit sur Wikipédia. Notre rôle se limite à aller à l’essentiel : quel est le but de cette organisation – fragmentée, il faut le dire en de nombreuses tendances – et de quels symboles fondamentaux fait-elle usage ? Symboles dont la (ou les) signification(s) devraient énoncer la finalité de l’initiation maçonnique.

Inutile d’insister sur le fait que cette organisation est des plus controversées. Les partisans de la théorie du complot verront partout des maçons à l’œuvre pour saper la souveraineté des nations et l’identité des peuples. Il serait plus exact de dire que certains courants maçonniques se sont fortement impliqués dans des actions temporelles qu’on pourrait, pour simplifier, qualifier de « mondialistes ». Un Maçon aussi éminent que Jean Baylot (1897–1976), qui fut préfet de Police, a montré, avec une érudition exemplaire, ce qu’il en était historiquement dans un ouvrage incontournable intitulé La Voie Substituée(2).







Jean Baylot
Jean Baylot à l’époque où il était Préfet de Police.
Jean Baylot Voie substituée
L’ouvrage de Jean Baylot qui provoqua bien des empoignades en milieu maçonnique car mettant les « trois points », allusifs à la Trinité et aux trois mondes (matériel, subtil et spirituel) sur le I majuscule de « Initiation ».

Et ce, afin de dénoncer vigoureusement les courants, agnostiques ou athées tendant à faire de l’institution maçonnique un cheval de Troie destiné à subvertir et détruire les objectifs supérieurs que cette organisation s’était assignés. Tout porte à croire qu’à l’origine les fondateurs de la Maçonnerie furent hautement inspirés par un symbolisme issu des constructeurs de cathédrales qu’on nommait, fort significativement, au Moyen Âge, « les Logeurs du Bon Dieu »(3).

Francs-Maçons médiévaux
Les « Logeurs du Bon Dieu » organisant la répartition des travaux. Miniature médiévale montrant un maître d’œuvre qui tient sa fameuse « règle à 24 pouces » (correspondant aux heures de la journée), toujours présente dans l’emblème officiel du Compagnonnage. Posés devant lui, des outils qu’on retrouve en loge maçonnique : le maillet, l’équerre et le compas.

Tout en sachant qu’avant les voûtes romanes et les ogives gothiques, il y eut les temples grecs et romains et, plus haut encore dans la remontée du passé, les impressionnants édifices égyptiens. À ce propos, il était loisible de découvrir, jadis, dans une vitrine du Musée du Louvre, ce que l’on pourrait comparer à de petits insignes destinés à être portés sur un vêtement : équerre, compas, colonne, escalier, corde d’arpenteur ; autant d’instruments intervenant dans l’art de construire. Preuve qu’il s’agissait de graduer et de différencier les fonctions d’une communauté de bâtisseurs.

Niveau Ramsès II
Instrument indispensable dans toute construction, un « niveau » ayant appartenu à l’un des architectes de Ramsès II. Il a été découvert dans Thèbes ouest, tombe N° 1. Cet objet demeure dans la symbolique maçonnique, comme on peut le voir, entouré d’autres insignes d’officiers de loges, sur la couverture de l’ouvrage qui suit.
Daniel Béresniak Offices officiers loges
Au centre de la couverture, on reconnaît le « niveau ».

Avec la pyramide de Falicon, évoquée dans cette rubrique(4), il nous a été donné de mentionner les activités maçonniques dans le Comté de Nice au XVIIIe siècle. Rappelons qu’un illustre personnage historique dont le nom est définitivement lié à la cité fut un maçon haut gradé : Masséna, maréchal d’Empire, initié « à l’Orient de Nice » (formule rituelle pour énoncer qu’il est entré en loge dans cette cité). Autre grande figure de l’histoire de notre ville, Garibaldi.


Statue Massena Nice
La statue du maréchal Masséna à Nice, non loin de celle de Garibaldi sur la place éponyme
Giuseppe Garibaldi Franc-maçon
L’un des principaux artisans du « Risorgimento » italien se présente ici sans la célèbre chemise rouge et revêtu de ses attributs et grades maçonniques.

Il suffit qu’un magazine quelconque mentionne la Franc-Maçonnerie en une de couverture avec les mots suivant : « secret », « mystère », « ésotérisme » associés à « révélations », « dévoilement », « divulgation », le tout illustré par le célèbre emblème qui résume l’idéal initiatique de cette organisation, à savoir une équerre entrecroisée d’un compas, pour que le ventes bondissent.

Couverture magazines Francs-maçonsPreuve que la curiosité du public « profane » demeure intense dès qu’il est question des « Frères trois points », comme on les dénomme familièrement. Disons tout de suite que l’auteur de ces lignes n’est pas maçon ; même s’il est intervenu de très nombreuses fois sur ce sujet lors de conférences et de colloques réunissant des passionnés de symbolisme dont certains revendiquaient clairement leur affiliation à une obédience maçonnique. Cette précision apportée, abordons la haute signification de l’emblème que nous venons d’évoquer.

Maçonnerie équerre compas G

La réunion de l’équerre et du compas résume de façon magistrale tout un processus initiatique issu de temps immémoriaux et qui, transmis par les bâtisseurs de cathédrales, outrepasse son utilisation par la Franc-Maçonnerie.

La réunion de ces deux outils était déjà chose courante au Moyen Âge. On l’a vu avec une miniature et on la retrouve ici, sur un dessin, de façon plus probante encore puisque l’équerre et le compas sont dans les mains du maître d’œuvre, l’architecte en chef, qui commente pour un roi la bonne marche des travaux.

Architecte et Roi image médiévale

Communiquant à son souverain toutes les informations nécessaires, un architecte tient l’équerre et le compas, instruments indispensables pour tracer les plans d’un édifice médiateur entre la terre et le ciel.

L’équerre, instrument rigide, permet de tracer des angles droits et principalement une surface carrée. Or, il se trouve que, pour les anciens, la terre était symboliquement carrée de par le positionnement des quatre horizons correspondant aux points cardinaux. La « terre », ou densité des choses visibles, représente le corps physique. Tandis que le compas, instrument pouvant modifier son angle d’ouverture, trace un cercle figurant la circularité du ciel et, de la sorte, la dimension spirituelle d’un être, sa capacité à s’intégrer au divin. D’où, par exemple, l’auréole.

Équerre compas Ampus

À Ampus, sympathique petit village du Var, on peut voir au-dessus d’une porte, ce symbole laissé non par des Francs-Maçons mais par des Compagnons du Devoir dits « Étrangers » (d’où l’ « étrangeté » de la disposition des outils puisque leur positionnement est curieusement inversé). Une porte de Châteaudouble (toujours dans le Var) est surmontée d’une équerre posée sur un compas : cette caractéristique désigne les « Apprentis », premier grade du Compagnonnage repris par la franc-Maçonnerie. Pour un maître le compas sera sur l’équerre.

L’équerre et le compas entrecroisés représente le passage de l’être terrestre à sa nature supérieure, céleste. C’est très exactement ce que manifeste un dessin de Léonard de Vinci, inscrivant le corps humain simultanément dans un carré et un cercle et qui est reproduit sur la pièce de 1 euro italien(5). Fréquemment, une étoile à cinq branches prend place entre l’équerre et le compas.

Médaille symboles maçonniques
Médaille maçonnique (sans doute d’une loge belge) montrant différents symboles présents en loge, dont les deux colonnes à l’entrée du temple et la pierre cubique, réunis autour de l’étoile flamboyante portant le G.

Cette étoile stylise la silhouette humaine et indique, outre le changement de condition, le rôle de médiateur — dévolu à toute personne qui s’en révélerait capable — entre le monde limité de la « terre », sous-entendu de la matière, et le « ciel » évocateur d’infini. Précisons que l’étoile est rayonnante : on la dit « flamboyante » de façon à suggérer que la condition supérieure d’un être est désormais « lumineuse ». Osons la qualifier d’« apollinienne », en rappelant que Pythagore, considéré comme le fils d’Apollon, est, par le biais des « Logeurs du Bon Dieu »(6), l’une des figures tutélaires de la Franc-Maçonnerie avec le fameux Hiram, mythique architecte du temple de Salomon.

Entre les deux instruments, ou sur l’étoile, on voit la lettre G. Remarquez bien le graphisme de cette lettre : elle est formée d’un angle droit (ou d’une équerre) et du mouvement d’un compas. Il se trouve qu’elle est la septième de notre alphabet et que, dans nombre de traditions, le chiffre sept marque le passage graduel entre la terre et le ciel(7). Toutes sortes d’hypothèses ont été formulées quant à la signification de ce G. On a parlé de l’initiale de Gnosis, la « Connaissance », ou encore celle de « Géométrie » puisque le tracé de symbole implique l’équerre, la règle et le compas. La Franc-Maçonnerie étant née en Angleterre, on y a vu l’initiale du mot « God », « Dieu » (preuve qu’à l’origine les Freemason étaient éloignées de tout athéisme). Si c’est le cas, il n’est pas inutile d’en établir la guématrie : G (=7) + o (= 15, puisque quinzième lettre) + d (= 4, de par sa place dans l’alphabet). Total : 26, nombre unique dès lors que le seul à se situer entre un carré (celui de 5 : 5 x 5) et un cube (celui de 3 : 3 x 3 x 3). Aux dires de certains « initiés » (maçons et non maçons) le 26, comme le savent fort bien les personnes de confession israélite(8) (mais pas seulement), serait la présence du divin dans les nombres. À ce propos rappelons que notre alphabet comporte 26 lettres(9).

Nous sommes donc en présence d’un symbolisme qui vient de fort loin et qu’il serait préjudiciable de limiter au seul domaine d’une maçonnerie empêtrée dans la « voie substituée ». Symbolisme résumant le plus grand défi existentiel : outrepasser le conditionnement qu’impose la médiocrité de nos sociétés pour tenter d’atteindre l’état suprahumain, « apollinien », qui fut, nombre de traditions s’accordent sur ce point, notre nature originelle.


Angela Merkel franc-maçonne
Dans certains milieux conspirationnistes, on prétend qu’Angela Merkel appartiendrait (le conditionnel s’impose !) à un courant maçonnique issu des Illuminati. Pour preuve le signe qu’elle forme fréquemment avec ses doigts. Par les pouces joints, on aurait l’équerre tandis que les index composeraient le compas. Mais, s’il en était ainsi, les deux instruments seraient inversés, comme sur le motif ornant le linteau d’une porte à Ampus.

P-G.S.

N.B.: Pour les personnes que ne tente pas l’entrée en loge mais qui s’intéresseraient à ce symbolisme issu des cathédrales, je recommande l’ouvrage de Patrick Geay intitulé : Mystères et significations du Temple maçonnique. Dans ses premières lignes, l’auteur reprend la thèse de Jean Baylot et la résume ainsi : « Fondée à l’origine sur une initiation de métier reliée aux mystère de la construction, la Franc-Maçonnerie avait (…) été victime d’une sorte de récupération particulièrement grave de la part des courants progressistes et utopistes qui, en la noyautant, avaient complétement renversé le sens de plusieurs symboles tout en introduisant un certain nombre de concepts rigoureusement étrangers à l’Ordre, tels ceux d’évolution et d’égalité (…) Plusieurs mouvements en étaient responsables » dont, cela n’étonnera personne, celui des Illuminés de Bavière, les sinistres “Illuminati”.

(1)Le Cygne et la Harpe, deux emblèmes d’Apollon hyperboréen. Deux emblèmes qui nous conduisent à Delphes et dans un Nord mythique et non point au Moyen-Orient.
(2) Nous ne saurions trop recommander la lecture de cette étude à toute personne qui, pour des raisons diverses, s’intéresserait à (ou s’interrogerait sur) la Franc-Maçonnerie.
(3) Formule qui confère toute sa signification spirituelle au mot « loge » mais qui, hélas, ne semble plus comprise par nombre de Maçons que dévoie une vision exclusivement matérialiste du monde.
(4) Voir, même rubrique, l’article du 25 janvier 2017 intitulé Des pyramides dans les Alpes Maritimes ? sur cette singulière construction maintenant en ruine.
(5) Cf. dans cette même rubrique Perspectives l’article du 26 novembre 2014 intitulé L’appartenance, la forme et le centre.
(6) On voit sa représentation parmi les personnages sculptés au portail occidental de la cathédrale de Chartres.
(7) Ainsi, le culte mithriaque comportait 7 grades initiatiques. Les planètes connues des anciens étaient au nombre de 7 et nomment nos jours de la semaine. Chez les Vikings, les 7 couleurs de l’arc-en-ciel constituaient un pont entre la terre et le ciel. Ce dernier thème intervient aussi dans l’histoire de Noé et Steven Spielberg s’en est servi pour le final de son film E.T.
(8) Le nom ineffable, car d’essence divine, est formé de quatre lettres hébraïques (iod, heth, wav, heth), dont la guématrie donne 26.
(9) Pour la « petite » histoire (en fait, peut-être pas si petite que ça), l’« initié » (mais pas en maçonnerie, contrairement à ce qui a été affirmé par plusieurs auteurs) Hergé fait habiter Tintin à un 26 (cf., pour les passionnés de « Tintinologie », un ouvrage intitulé Hergé et l’énigme du Pôle, Éditions du Mercure Dauphinois, p. 332 et suiv.)

Lu sur Nice Provence Info

Related Articles