Jacques et Lokta de Prévaux, ces compagnons de la Libération méconnus!

Elle était mannequin, il était capitaine de vaisseau, ils seront unis dans la mort.

 Leur histoire a failli disparaître dans l’Histoire. Un simple nom dans la liste des Compagnons de la Libération. Pourtant, Lotka et Jacques Trolley de Prévaux forment un couple exceptionnel. Le mémorial des Compagnons les cite brièvement : « Unis dans l’action de résistance, unis dans l’épreuve des prisons, ils se trouvèrent encore unis dans leur sacrifice. Nous ne les séparerons donc pas sous le signe de la croix de Lorraine et la devise de notre ordre. »

Six femmes seulement sont Compagnons. Lotka de Prévaux a donc un statut unique. Née Charlotte Leitner à New York, juive polonaise devenue Lotka, mannequin vedette chez Madeleine Vionnet, elle vit une histoire d’amour fusionnel avec le capitaine de vaisseau Jacques Trolley de Prévaux, rencontré dans les milieux interlopes de Berlin. Premier attaché naval français dans la capitale en 1926, c’est un marin comme on n’en rencontre que dans les récits de Farrère ou de Conrad. Il fréquente aussi bien René Crevel, le jeune poète surréaliste, que Pierre de Margerie, l’ambassadeur de France, son cousin.

“CHEVELURE DORÉE, LONGUE SILHOUETTE NOIRE, ELLE A CONQUIS LE BEL OFFICIER D’UN REGARD DE SES YEUX VERTS”

Un soir de novembre 1933, Lotka, raconte une de ses amies, « lui est apparue, visage très blanc auréolé d’une chevelure dorée, longue silhouette habillée de noir, et l’a conquis d’un regard de ses yeux verts ». Rencontre décisive pour lui qui, marié à une femme de la haute bourgeoisie parisienne, aime exercer son pouvoir de séduction. Lotka traîne tous les cœurs après soi, même celui d’André Malraux, sans jamais se soumettre. Mais dans sa cohorte de soupirants, elle n’a jamais rencontré une âme comme celle du bel officier. « Vous êtes tout ce qui justifie mon existence. » Après quelques dizaines de lettres fiévreuses de Jacques, Lotka lui écrit enfin : « L’instant approche où je vais vous aimer. » C’est donc qu’elle l’aime déjà, c’est ainsi qu’il l’entend. Jusqu’à ce qu’ils puissent vivre ensemble, ils s’écriront pratiquement tous les jours.

Puisque leur vie est un roman vrai, elle est restée inconnue jusqu’à ce jour où une étudiante de 23 ans est abordée par son voisin à la Bibliothèque nationale, un vieux monsieur charmant qui vient de lire « Aude de Prévaux » sur la fiche de communication. « Vous êtes la fille de… ? » Quelques minutes plus tard, Aude apprend l’existence de ses vrais parents : Lotka et Jacques de Prévaux. Et non pas François et Micheline de Prévaux. Née en 1943, elle avait été élevée par le frère aîné de Jacques et ignorait sa filiation. Le secret des grandes familles. Sa mère, redevenue sa tante, se contente de lui réciter une banale fiche bio. Aude ne sait toujours rien de ce couple fusillé par les Allemands quelques jours avant que l’armée de De Lattre ne libère Lyon.

AUDE DE PRÉVAUX DÉCOUVRE QU’ELLE EST LE FRUIT D’UN AMOUR RARE, INTENSE, D’UNE EXIGENCE ABSOLUE

C’est son parrain polonais, installé au Maroc, qui va la libérer, elle. Un jour, elle reçoit deux caisses de bois, via Casablanca. Doublées de cuivre, constellées d’étiquettes exotiques.

Le trésor de son père dans les mers du Sud. Des livres, des centaines de photos, des milliers de lettres. Elle a eu la tentation de ne pas les lire. D’enfouir le passé dans la cave d’où il n’aurait jamais dû sortir. Puis elle a retrouvé des témoins. Aude découvre qu’elle est le fruit d’un amour rare, d’une haute intensité, d’une exigence absolue. Quand Jacques s’engage dans le réseau F2 Azur en 1941, il est impensable que Lotka ne le suive pas. Pendant trois ans, ils collectent des renseignements stratégiques, transmis à Londres. Pour de Gaulle ou pour le MI6 de Churchill ? Ce n’est pas clair, mais Prévaux refuse de gagner Londres, ce qui leur aurait sauvé la vie. De Lattre déclare, le 16 août 1946 : « J’affirme que l’importance et l’intelligence des renseignements qui nous ont été fournis ont été un des facteurs déterminants du succès de ce débarquement. » Une oraison funèbre.

Ses parents ont été fusillés un an plus tôt sur le terrain d’aviation de Bron, le 19 août, quatre jours avant que la Gestapo n’abandonne le fort de Montluc où ils étaient emprisonnés. La première armée française libère Lyon le 3 septembre. Arrêtés le 29 mars 1944 à la suite d’une trahison, ils n’ont pas parlé sous la torture. Parmi les compagnes de captivité de Lotka, certaines ont survécu ; elles ont dit à Aude : « Votre mère nous réconfortait par son courage. Elle est passée comme une fée au milieu de notre misère. » La fée et son prince charmant ont désormais une histoire et un visage. Celui de l’amour fou, de l’amour à mort.

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