Ceux qui ont ici reçu une bonne éducation chrétienne se souviennent sans doute qu’après avoir pris une gifle sur la joue droite, il faut tendre la gauche. Et après avoir été égorgé, que fait-on ? Que tend-on ? La réponse vient de nous être fournie par Monseigneur Dominique Lebrun, archevêque de Rouen, qui dans une interview à Paris-Normandie explique que la mort du Père Jacques Hamel — une « mort mystérieuse » en ce qu’« elle nous rend contemporains de la mort du Christ », si ! — ne signifie pas que nous soyons confrontés à « une guerre de religions ». Pas du tout. C’est juste « un déchaînement du mal qui est de l’ordre de Satan, du démon. Qu’il faut traiter comme tel. » Oui. Mais alors, qui est responsable ?
« Il y a un autre élément c’est la manière dont la société considère les religions. À les mettre à l’écart, on n’aide pas. Je crois que nous sommes au bout du modèle de la laïcité qui était exaspéré ces dernières années. Jusqu’à dire que la religion doit rester dans la sphère privée. Ce qui est tout à fait faux. Ou alors je n’existe plus. Dire ça, c’est considérer qu’il n’existe pas de communauté catholique, qu’il n’existe pas d’évêque, qu’il n’existe pas de cathédrale, qu’il n’existe pas de croix sur nos chemins. C’est ce qui nous est dit. Et c’est une folie, nier la religion. Ce qui est fragile, c’est aussi ça. »
Et de mettre finalement en cause la laïcité telle qu’elle régit l’Ecole de la République : « Dans nos écoles publiques, on n’a pas le droit de croire. Quand j’ai 9 ans et que je reviens de week-end, la maîtresse dit : « Vous avez passé un bon dimanche ? » Celui-là dit qu’il a joué au foot et tout ça. Mais si l’un d’eux lève le doigt en disant : « Moi, madame j’ai fait ma première communion », elle dit : « Quelqu’un d’autre à quelque chose à dire… » Le petit musulman, il n’a pas le droit de croire. Nous, nous avons des écoles (NDLR : catholiques), où il y a 50/80 % de musulmans car ils viennent en disant, chez vous, on a le droit de croire. À ce moment-là, comment s’étonner qu’il ait une image déformée de Dieu ? Qu’est-ce que ça coûterait que dans nos écoles il puisse voir qu’il y en a qui croit, d’autres qui ne croient pas ? Que cela soit abordé paisiblement comme dans les églises catholiques. On ne met pas des coups de règles sur les garçons et les filles qui disent : moi, je ne crois pas. La liberté, elle est où ? Dans nos écoles. Dans les écoles publiques il n’y a pas de liberté. Là où il y a la liberté, c’est là où on peut dire que l’on croit. »
Dans le Figaro de ce dimanche 6 août, Natacha Polony, après avoir rappelé les propos de notre archevêque, s’insurge. « Un religieux n’est pas obligé de comprendre la laïcité à la française et les subtilités de la distinction entre espace public et espace privé, ni même de comprendre que ce n’est pas la laïcité qui implique le vide spirituel dont nous gratifie la société de consommation et du spectacle ; encore peut-il s’abstenir d’expliquer que c’est parce que « le petit musulman » n’entend pas suffisamment parler de religion à l’école que de jeunes français massacrent des enfants et des vieillards. »
Et de conclure : « L’auto-flagellation est un sport qui se conçoit dans une cellule monacale. Battre sa coulpe sur le dos de la nation est plus qu’incorrect : stupide. »
Ma chère Polony, ce n’est pas la stupidité d’un archevêque qu’il faut mettre en cause : il s’agit d’un plan concerté. Il y a peu, le pape a déploré, dans un entretien à La Croix (le Pape dans la Croix, c’est ça, un pléonasme, non ?) : « Si une femme musulmane veut porter le voile, elle doit pouvoir le faire. De même, si un catholique veut porter une croix. » Petit coup de patte à la loi de 2004 sur les signes religieux ostentatoires, qui fait le fond des dernières phrases consacrées au sujet : « La petite critique que j’adresserais à la France à cet égard est d’exagérer la laïcité. » Et de conclure : « Cela provient d’une manière de considérer les religions comme une sous-culture et non comme une culture à part entière », constate Jorge Bergoglio. « Je crains que cette approche, qui se comprend par l’héritage des Lumières, ne demeure encore. La France devrait faire un pas en avant à ce sujet pour accepter que l’ouverture à la transcendance soit un droit pour tous. »
J’ai cité ces propos cum commento dans une récente tribune du Point. J’y notais le synchronisme étonnant avec les propos (sur RMC) du président de l’union des Organisations Islamistes (heu, pardon : Islamiques…) de France, l’UOIF, au même moment, déclarant : « La religion cohabite très bien avec la laïcité, explique-t-il. La loi 1905 nous va très bien, c’est le cadre idéal pour que l’Islam s’épanouisse dans la République. » Il a lancé avec aplomb, quand Bourdin lui a fait remarquer qu’il était sur la même ligne que le pape, qu’ils sont tous deux contre une « lecture radicale » de la laïcité : « « Les religieux s’entendent et s’entr’aident dans de pareils moments ». On ne le lui fait pas dire. Et de proclamer l’éloge du « vivre ensemble », qui est la tarte à la crème aujourd’hui des nouveaux programmes scolaires en particulier et du Camp du Bien en général.
Alors même que les attentats intégristes déchirent la France, des voix s’élèvent çà et là — et la coïncidence là aussi est remarquable — pour défendre une ouverture à l’Islam de la France — une ouverture qui nous garantirait des extrémismes. Paradoxe apparent, elles s’élèvent parmi les défenseurs de l’église traditionnelle. L’année dernière, Pierre Manent a proposé, dans Situation de la France, de donner à l’islam toute sa place, expliquant que nous ne pouvions plus camper sur une laïcité pure et dure. Catherine Kintzler, en vrai spécialiste de la laïcité, a analysé en profondeur ce livre malicieux, « brûlot anti-laïque et anti-républicain », et a parfaitement montré que l’église catholique faisait chorus avec l’islam intégriste pour remettre la main sur les territoires perdus. Non ceux de la République, mais ceux de la religion.
C’est un calcul de dupes. On ne transige pas avec des gens qui veulent au fond non seulement toute leur place, mais toute la place. En passant par l’islam pour ré-affirmer et ré-affermir le pouvoir de l’Eglise, le pape se fourvoie profondément. Et faire la moindre concession serait une erreur létale. Jean d’Ormesson l’a expliqué l’année dernière à propos des massacres de chrétiens au Moyen-Orient — pas un prêtre égorgé, mais des milliers d’hommes et de femmes décapités.
Il faut réécrire la loi de 1905 en tenant compte de l’islam, qui n’existait pas en France au début du XXème siècle. Il faut imposer la laïcité la plus stricte sur l’ensemble du domaine public — c’est-à-dire dans la rue : libre à chacun de croire ce qu’il veut, mais pas de l’imposer, ne serait-ce que par le quadrillage des voiles dans nos villes, à ceux qui ne croient pas la même chose, ou qui ne croient à rien du tout.
Nous n’en sommes pas là. Il a été question de nommer Jean-Pierre Chevènement à la tête d’un organisme chargé de réorganiser en profondeur le financement et l’expression de l’islam de France. Levée de boucliers de tous les suppôts de l’intégrisme, à droite (Hortefeux) et à gauche (Laurence Rossignol, qui veut quelqu’un, une femme si possible, « de culture musulmane » : qu’aurait fait Napoléon, qui a si bien réorganisé le judaïsme français ?). La République n’a pas à se soucier des croyances des uns et des autres — d’autant que les agnostiques sont largement majoritaires dans ce pays.
Les catholiques ne me gênaient plus, depuis une centaine d’années. Et voici qu’ils en remettent une couche. Les musulmans représentent aujourd’hui une menace bien différente des Congrégations de 1900 : l’agenda suppose l’application de la charia. En vérité, je vous le dis, amis musulmans, allez donc vivre selon les principes islamiques dans l’un des nombreux pays qui en ont fait leur mode de fonctionnement, flagellation et lapidation comprises. Ou soumettez-vous à la loi de la République — celle qui est écrite, et celle qu’il reste à écrire.