Ma Comédie-Française ou l’Inconnu dans la Maison

Le titre du dernier ouvrage de Jacques Lorcey, bien connu des lecteurs de Présent (notamment pour ses livres sur Guitry ; dernier paru : Sacha Guitry, roi de Paris, éditions Atelier Fol’Fer), est révélateur à plus d’un… titre : Ma Comédie-Française ou l’Inconnu dans la Maison.

Tout l’esprit de ce livre de souvenirs est là résumé. La Comédie-Française où il est entré le cœur battant – le rêve alors de tous les jeunes comédiens – avant que d’en sortir pour les raisons qu’il relate. « Sa » comédie française personnelle, comediante, tragediante. La référence au film avec Raimu (acteur qu’il admire), Les Inconnus dans la maison, sauf que cette Maison, dont Lorcey dit avoir été l’« inconnu », s’écrit avec un M majuscule : c’est la Maison de Molière.

Mais il faut imaginer le jeune Lorcey qui, après le Conservatoire, entre dans cette société prestigieuse – « J’étais dans l’état d’un enfant qui a rêvé de poser les pieds sur la Lune ou sur Mars » – le cœur débordant d’espoir. Pour déchanter assez vite. L’Illustre Théâtre est devenu une jungle – a-t-il jamais été autre chose d’ailleurs – où les jeunes et naïves proies sont à la merci de prédateurs blanchis sous le harnois.

Il n’empêche que Lorcey, comme la chèvre de Monsieur Seguin, va résister de toutes ses forces. Il va ainsi paraître 800 fois devant le public et tenir 55 rôles différents ! « Mon séjour en ces lieux de délices, écrit-il, fut donc un immense plaisir, suivi d’une égale déception avec, par-ci par-là, quelques petits bonheurs tout de même. Il est vrai de reconnaître que j’y ai commis des erreurs – pas énormes certes, mais qui pouvaient être évitées si j’avais eu seulement, dans la place, un conseiller autorisé pour jeter un coup d’œil sur moi, de temps en temps. »

De manière très touchante, il dit la réaction de son père, avec lequel il eut bien des difficultés – litote… – relationnelles, quand il apprit le succès de son fils : « Lorsque je suis entré à la Comédie-Française, j’ai entendu mon père affirmer qu’il était fier de moi – pour une fois… la seule dont je me souvienne. Tant il est vrai que ce qu’il faut bien appeler désormais l’ex-Comédie-Française donnait à ses élus le vernis de respectabilité bourgeoise réclamée par tous les malheureux parents dont les rejetons avaient embrassé une profession maudite. »

Comment la tête d’un jeune comédien qui côtoie désormais Louis Seigner, Jean Le Poulain, Jacques Charon, Georges Descrières, Robert Manuel, Jean Piat, Micheline Boudet, Robert Hirsch, Jacques Toja, Robert Dhéran, Jean-Laurent Cochet, etc., ne tournerait-elle pas ? Il est de la famille désormais…

Un jour, un habitué dit à la grande Béatrix Dussane à propos de la Comédie-Française : « En somme, vous êtes une grande famille ! » Et Dussane de répondre : « Oui, les Atrides ! » Le jeune comédien est en effet ressenti comme une menace : « Le sociétaire devra fatalement se méfier de tout nouveau pensionnaire – et particulièrement de ceux ayant le même emploi que lui. »

Jacques Lorcey raconte tout cela avec un allant qui donne à son livre un côté délicieusement jubilatoire. Mais on sent par-delà la noble attitude – et plus encore quand on le connaît (« Hypersensible par surcroît, le comédien est toujours prompt à s’effaroucher d’un mot malheureux ») – des blessures mal (ou pas) refermées : « Un peintre, un musicien, un écrivain qui resterait ignoré peut croire au jugement de la Postérité. Un acteur doit connaître le succès de son vivant – sinon il ne lui reste rien. »

Ce livre est aussi un livre d’amour : de la scène, des beaux textes, du public. « Pour retrouver sa jeunesse, disait Oscar Wilde, il n’y a qu’à recommencer ses folies ! » Lorcey le sait : « Seulement voilà : je n’ai jamais arrêté les miennes ! » Mais c’est aussi pour ça qu’on l’aime !

A noter un riche cahier photo qui illustre – mais en toute petite partie, on s’en doute – la carrière de l’auteur et les personnages qu’il a interprétés, de Tartufe à Ragueneau en passant par Chrysale, Petit-Jean (Les Plaideurs), Del Basto (Ruy Blas), etc.

Atelier Fol’Fer, 147, rue Bel-Air, 28260 La Chaussée d’Ivry. Tél. : 06 74 68 24 40. Fax : 09 58 28 28 66. Site : atelier-folfer.com. Prix franco : 25 euros.

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