L’Austrasie, « terre de l’Est », est un nom oublié. Quelques revues, pourtant, portèrent ce nom : à Metz dans les années 1840 paraissaient La Revue d’Austrasie et L’Austrasie, « revue du Nord-Est de la France » ; dans les années 1850 puis 1900, L’Austrasie encore, « revue de Metz et de Lorraine ». Le musée d’archéologie nationale présente une évocation de ce royaume mérovingien, exposition passée précédemment à Saint-Dizier.
Cette « terre de l’Est » naît lorsque les fils de Clovis se partagent le royaume, à sa mort, en 511. L’aîné, Thierry Ier, obtient la partie orientale qui prend Reims pour capitale. Cette Austrasie recouvre l’Est de la France, la Belgique, le Luxembourg et l’Ouest de l’Allemagne.
Trouvailles
On ne se lasse pas, même si elles sont illisibles aux yeux profanes du fait de leur graphie complexe, des chartes sur parchemin. Quelle élégance d’écriture, de rythmes avec les hautes ou basses hampes ! Un jugement, rendu par Clovis III le 28 février 693 à Valenciennes, tranche une querelle de propriété entre Ingramnus et Amalbertus. Un précepte de Thierry III, rédigé entre 680 et 688, exempte de taxes les transports de marchandises à destination de l’abbaye de Saint-Denis. Tous ces noms francs latinisés parlent à notre cœur. En voici d’autres, relevés sur la vaisselle exhumée de l’abbaye d’Hamage (fouillée à partir des années 1990) : tel gobelet appartenait à sœur Berta, tel autre à sœur Elisa, ou sœur Genvera, ou sœur Aughilde. Un des gobelets trouvé à Hamage, non exposé, est célèbre pour son inscription : « Mitte plino », autrement dit : à ras bord ! Peut-être s’agissait-il d’eau.
Le site de Prény (en Lorraine), fouillé à partir de 2006, révèle l’habitat rural. Bienvenue dans « la ferme de Tautecourt », où les archéologues ont trouvé du matériel de cordonnier, des forces, des poteries… A Saint-Dizier, dans la tombe d’un jeune chef, voilà un pommeau d’épée gravé d’inscriptions runiques, une rareté. On y lit le mot proto-germanique « ALU » qui signifie « bière ». A Charleville-Mézières, c’est une remarquable corne à boire, en verre décoré de filets blancs, qui a été exhumée d’une tombe de chef. Ses lignes courbes sont d’un goût sûr. Toujours à Saint-Dizier, trois sujets du VIe siècle ont été étudiés par les paléo-anthropologues : l’étude des dents et des os montre qu’ils se nourrissaient de végétaux, de céréales, mais aussi de cochon (plus que de bœuf). Du cochon, de la bière, comment ne pas se sentir une proximité avec de tels ancêtres ? L’un d’eux, d’ailleurs, a dû abuser des cochonnailles : les études montrent qu’il souffrait de diverses pathologies liées à l’obésité.
Il y a quelques années, la fédération des artisans menait campagne publicitaire sur le slogan : l’artisanat, première entreprise de France. Cela était déjà vrai à l’époque mérovingienne. Les forgerons étaient experts en armement damassé, les joailliers travaillaient merveilleusement l’or et les pierres précieuses et créaient des fibules et des boucles de ceintures d’un art aussi raffiné que rude. Certaines pierres et coquillages arrivaient par les voies commerciales d’Inde, Aden ou Bagdad. Les sculpteurs sur pierre, riches du savoir-faire gaulois, dirigeaient lentement leur art vers ce qui serait l’art roman. Les sculptures de l’époque vont du très fruste (fragment de couvercle du sarcophage de l’abbesse Huna) à la maîtrise : l’ambon d’Echternarch (Luxembourg), avec ses croix et ses entrelacs, est fermement sculpté dans le calcaire.
L’époque et la légende
L’époque mérovingienne est une période fascinante. Géographiquement on est chez nous, mais temporellement elle est si exotique. Elle est comme un chapitre du Seigneur des Anneaux de Tolkien – et pour cause, puisque l’écrivain connaissait son histoire européenne mieux que personne, et les langues, les contes du continent.
Comme les épées damassées réalisées en associant puis en vrillant des couches de métaux différents, l’époque mérovingienne est la fusion des cultures romaine, gauloise, franque, en un alliage qui est le nôtre. J’évite délibérément le mot de « métissage » qui, on le sait, est depuis trente ans un travestissement de la haine de soi. L’exposition ne l’évite pas : « A l’heure où le questionnement identitaire sature l’espace public, l’exposition est aussi l’occasion de montrer comment s’est construite l’identité culturelle de ce royaume. (…) En Austrasie, encore plus que dans les autres royaumes mérovingiens, un important métissage culturel a été à l’origine de la civilisation médiévale. » La haine de soi n’avait pas cours en Austrasie. C’est justement un maire du palais d’Austrasie qui, en 732, arrête les Arabes à Poitiers. Il ne considérait pas que l’islamisation était une chance pour le royaume. Il ne pensait pas que le peuple dont il avait la charge dût être grand-remplacé avec la bénédiction des évêques. Il croyait fermement, au contraire, que lorsque les envahisseurs arrivent, la défense est une évidence. Voilà qui fait aussi de la période mérovingienne un exotisme en 2017. On sait que l’époque mérovingienne a nourri des fantasmes idéologiques tantôt pour soutenir la monarchie, tantôt pour la combattre. Si maintenant, malgré l’avancée de la science, elle sert la mythologie républicaine du vivre-ensemble, désespérons – ou plutôt résistons avec force cochon et bière. Mitte plino !
- Austrasie, le royaume mérovingien oublié. Jusqu’au 2 octobre 2017, musée d’archéologie nationale, Saint-Germain-en-Laye.
Photo de Une
Feuillet d’un précepte de Thierry III, rédigé entre 680 et 688. Paris, Archives nationales. « Thierry, roi des Francs… avons concédé que tous les transports de marchandise, qui, pour les besoins de cette église [l’abbaye de Saint-Denis] et des frères, doivent être faits tant en Neustrie, qu’en Austrasie et en Burgondie, par voie de terre ou d’eau… soient exemptés de droits de douane et d’autres redevances fiscales. » © Archives nationales, Paris.