Le Comité d’éthique de l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) rendait public le 17 juin dernier, lors de sa réunion annuelle, sa note datée du 31 mai 2014 sur la recherche sur l’embryon.
« Faciliter et promouvoir les recherches sur l’embryon, en développant une information auprès du public et des décideurs, en faisant apparaître de manière plus claire ce thème de recherche parmi ceux susceptibles d’être financés par les organismes publics et en organisant de manière plus rationnelle la collecte, la conservation et la mise à disposition pour les équipes de recherche des embryons surnuméraires congelés ne faisant plus l’objet d’un projet parental et donnés à la recherche selon les modalités définies par les lois de bioéthique dans des structures dédiées de type : “embryothèques”. (…) Revoir l’encadrement de la recherche qui doit rester toujours aussi exigeant mais qui devrait être mieux adapté, plus cohérent et plus simple dans ses procédures » : pour le comité d’éthique de l’Inserm, la loi du 6 août 2013 qui autorise désormais la recherche sur l’embryon en France ne suffit pas. Sa note du 31 mai (consultable ici) fait ainsi une liste de propositions pour assouplir encore les conditions d’autorisation à la recherche et rendre plus accessibles les stocks d’embryons disponibles.
Les embryons surnuméraires, un matériau de choix
« De très nombreux embryons issus de FIV (fécondation in vitro, ndlr)sont conservés congelés dans les centres autorisés pour cette activité. On distingue deux catégories d’embryons cryoconservés : ceux qui demeurent investis d’un projet parental et ont de ce point de vue une valeur de “personne humaine potentielle”, ceux qui ne font plus l’objet d’un tel projet, que ce soit celui de leurs géniteurs ou d’autres personnes, ils sont alors de factovoués à l’arrêt de leur développement. Une recherche éventuellement réalisée sur ces embryons n’est donc pas la cause de leur destruction, mais un mode d’arrêt de conservation auquel peuvent consentir les couples », note le comité. Et de fait, les centres de conservation d’embryons dépourvus de projet parental représentent une véritable caverne d’Ali Baba pour les chercheurs : pour environ 14 000 naissances par fécondation in vitro en France chaque année, il faut concevoir quelque 270 000 embryons. Les 256 000 embryons restant après implantation et naissance des 14 000 autres sont pour la plupart abandonnés par les parents. Qu’en faire ? Pour les chercheurs, la réponse est toute trouvée…
Le statut de l’embryon
Le comité distingue, pour justifier l’utilisation des embryons surnuméraires, les embryons « qui ont une valeur de personne humaine potentielle » et ceux qui ne l’ont pas… Impossible, en effet, d’aborder la question de la recherche sans se confronter au problème du statut de l’enfant à naître et le Comité d’éthique tente ainsi d’opérer une distinction substantielle entre les embryons qui font l’objet d’un projet parental et ceux qui sont abandonnés pour prouver que, si les premiers ne peuvent être détruits, il est légitime d’utiliser les seconds comme un simple matériau de laboratoire. C’est ainsi que l’on apprend qu’utiliser un embryon surnuméraire pour la recherche n’est pas « une cause de destruction » mais un « mode d’arrêt de conservation ». Qui sera dupe du fait qu’un embryon décongelé, non implanté dans le sein maternel et jeté sur une paillasse de laboratoire sera bel et bien détruit ? Les mots peuvent masquer la réalité, ils ne la changent pas…
Entre relativisme et utilitarisme
Le rapport présente, pour étayer sa thèse, quelques considérations anthropologiques sur la nature de l’embryon qui, in fine, font dépendre la qualité d’être humain de l’embryon du projet qu’ont d’autres humains sur lui. Un texte qui est à lui tout seul un véritable manifeste du relativisme et de l’utilitarisme moderne :
« Le statut moral de l’être humain (le statut moral de personne) est basé sur ses propriétés intrinsèques caractérisées par ce qu’il est, par ses capacités. De manière traditionnelle: ce statut s’appuie sur le fait que l’être humain est doué de raison, ce qui fonde sa valeur intrinsèque. Cependant, il a aussi une valeur extrinsèque qu’il possède en fonction de ses relations aux autres, par exemple en fonction du fait qu’il est aimé ou du fait qu’il est utile. (…)?? Dès 1984, le CCNE (Comité consultatif national d’éthique, ndlr) avait introduit le concept de “potentialité de personne” mais on peut considérer que cette potentialité s’exprime à deux niveaux. Elle est d’abord intrinsèque à la nature humaine de l’embryon. Mais elle est également relative aux conditions permettant son plein développement qui, dans le cas d’un embryon in vitro, renvoie à la fois aux spécificités morphologiques de chaque embryon et au projet parental dans lequel il s’inscrit. Si l’embryon n’est pas transféré dans un utérus à des fins de gestation, il est impossible qu’il devienne une personne. Son seul avenir possible est alors l’arrêt de son développement. Mais si l’embryon humain ne peut être identifié à une personne, les embryons ont une valeur spécifique pour la communauté humaine en tant que cellules potentiellement génératrices de nouvelles personnes, ce qui justifie la mise en place d’un cadre spécifique garantissant leur traitement approprié. »
Que retenir de ces quelques lignes ?
La nature de l’embryon dépend à la fois :
– de ses propriétés intrinsèques, c’est-à-dire de sa nature ;
– de ses relations aux autres : est homme celui qui est doué de raison et qui est aimé ou jugé utile par d’autres hommes ;
– des conditions de son développement : un embryon qui n’est pas dans le cadre nécessaire à son développement ne peut se développer… Donc il n’est pas une personne.
Quelques questions…
Mais alors…
– Si, en dépit de la nature même de l’être considéré, le fait de ne pas être aimé ou d’être jugé inutile suffit à retirer à l’embryon sa nature de personne humaine, l’inverse est-il vrai ? En d’autres termes, suffit-il qu’une chaise soit aimée pour être, de facto, une personne humaine ?
– Si un embryon qui, n’étant pas dans les conditions propices à son développement, ne peut pas se développer, n’est finalement pas une personne, peut-on dire la même manière que : une larve de fourmi conservée dans du pétrole, ne pouvant donc pas se développer pour devenir une fourmi adulte, n’est finalement pas une fourmi ?