Il y a maintenant près de 60 ans – le 13 mai 1958 exactement –, Philippe Jullian faisait paraître chez Plon Le Dictionnaire du snobisme, un petit chef-d’œuvre de finesse et de causticité. Illustré de dessins de l’auteur, ce livre n’a pas pris une ride et aurait pu être écrit la veille de l’élection de Macron, tant il regorge de portraits de snobs et de définitions qui vont comme un gant à tous les tenants de cette France « de droite » qui défilait en rangs serrés contre le mariage homosexuel, voilà trois ans, dans les beaux quartiers, pour finir par plébisciter, le 7 mai dernier, celui qui était l’adversaire le plus résolu de la Manif pour tous et se moquait ouvertement de cette France bien-pensante qui va à confesse, met ses enfants dans le privé et se mobilise, par exemple, contre Jeff Koons ou l’exposition sacrilège du vagin de la Reine dans les jardins de Versailles. Mais le peuple de droite n’en est pas à une contradiction près. Il répète, 43 ans plus tard, les mêmes erreurs que lorsqu’il était en pâmoison devant Valéry Giscard d’Estaing qui fera adopter la loi Veil légalisant l’interruption volontaire de grossesse, abaissera la majorité à 18 ans et sera, avec Chirac et Poniatowski, un des responsables du regroupement familial de 1976 dont nous payons plus que jamais les funestes conséquences.
La Droite la plus bête du monde
Le soir du sacre macronien, nombreux sont ceux qui ont apprécié le spectacle monté de toutes pièces par les communicants du nouveau président et consistant à organiser, au Louvre, son intronisation. Tout le monde y trouvait son compte : le bon peuple de Paris toujours friand de spectacle, les initiés pas mécontents de voir la Pyramide, symbole de « fraternité » ainsi mise en valeur, enfin les nostalgiques de la monarchie qui voyaient dans le choix de la Cour carrée un retour à la tradition ainsi qu’une certaine forme de sacralité.
Comme si le « Petit Prince » avait accompli une synthèse nationale entre république et monarchie. Tout le monde était gagnant. Pas le moindre drapeau algérien à l’horizon comme c’était le cas en 2002 à la Concorde et en 2012 à la Bastille, juste des drapeaux tricolores distribués par le service d’ordre. Bref, tout aurait été parfait… Sauf que le nouveau président entonnait La Marseillaise, la main droite sur le cœur, singeant en cela son pote Obama pendant que sa main gauche étreignait celle de Brigitte. Et la solennité dans tout cela ? Le lendemain, il endossait le costume de chef des armées, remontant les Champs-Elysées à bord d’un véhicule de commandement. La féerie continuait.
Pas difficile cependant, pour l’homme de théâtre qu’est Emmanuel Macron depuis sa prime adolescence, de faire mieux que François Hollande, candidat par défaut devenu président, et que Sarkozy, permanent agité du bocal qui avait eu le mauvais goût, lors de sa réception au Vatican, de consulter frénétiquement son téléphone portable. Pour achever sa conquête de la droite de conviction, il lui restait l’impromptu de Versailles et le tour était joué. Comme l’avait d’ailleurs écrit Jullian dans son Dictionnaire, « Versailles, remis à la mode par Robert de Montesquiou et Boni de Castellane, est maintenant une des premières valeurs du snobisme international. Et comme le patriotisme n’est pas mort, nous sommes bien contents de snober la Reine d’Angleterre. » En recevant officiellement Vladimir Poutine dans la galerie des Glaces, le président Macron faisait de nouvelles conquêtes et imposait son autorité. Il ne lui reste plus qu’à entrer à cheval dans la basilique du Latran pour mettre définitivement de son côté les derniers récalcitrants. Tout cela, on le voit, ressort d’un snobisme de bon aloi que Fernand Gregh définissait « comme une forme élégante de la démagogie ».
Le fond et la forme
Les différentes cérémonies auxquelles nous avons assisté depuis le 8 mai dernier ont certes une certaine allure et correspondent à ce que Jean d’Ormesson (gagné depuis par le virus du macronisme) définissait ainsi dans le livre de Philippe Jullian : « Les systèmes politiques, les croyances, les mœurs, toutes les grandeurs d’établissement ne tiennent que par le conformisme. » Un conformisme auquel Macron ne renoncera pas. N’en déplaise à tous ceux qui ont eu la faiblesse de tomber dans le piège du décorum choisi par l’Elysée pour asseoir la légitimité du nouveau monarque. La dépénalisation du cannabis est dans les tuyaux, tout comme l’accueil de nouveaux migrants, la place de plus en plus importante concédée à l’islam (y compris sur les listes électorales de la République en marche) ou la part de plus en plus importante prise par l’Europe revue et corrigée par Merkel dans notre vie de tous les jours. Et prière de ne pas oublier les scandaleux propos tenus par le candidat Macron en Algérie ni ses messages niant la spécificité d’une culture à la française. Bref, soyons vigilants.
Un raz-de-marée
Tsunami, lame de fond, plébiscite, les mots ne sont pas assez forts pour annoncer et glorifier d’avance la déferlante du 18 juin prochain. Les premiers résultats provenant du vote des Français de l’étranger confirment, en effet, que ces derniers ont placé largement en tête les candidats de la REM dans 10 des 11 circonscriptions concernées. Faute cependant d’une participation suffisante, ils devront retourner aux urnes le 18 juin prochain. La macromania touche l’ensemble de notre pays au point que des circonscriptions imperdables pour la droite – comme celle qui avait vu l’affrontement des tigresses NKM et Rachida Dati – peuvent tomber dans l’escarcelle de la République en Marche. Tout comme d’ailleurs celle qui a vu le succès de Gilbert Collard, directement menacé par la torera Marie Sara. Et comme si cela ne suffisait pas, Nicolas Sarkozy s’est récemment fendu de louanges appuyées à l’égard du nouveau président : « Si ça marche, c’est un génie et il faudra s’incliner. » Tout comme d’ailleurs son ancien ministre Luc Chatel gagné, lui aussi, par ce nouveau snobisme. Il correspond ainsi à cette définition du snob donnée par Marcel Aymé dans Le confort intellectuel : « Le snob a le mérite de recommander à l’attention du public, certaines tendances, bonnes ou mauvaises. Généralement, les mauvaises s’éliminent d’elles-mêmes. Il arrive aussi qu’elles s’installent. C’est le danger. » Précisément celui du macronisme.