« Je te parle d’un danger effrayant, invisible. Des fusils braqués, mais sans que tu le saches. Et pourtant tu le sais. » Ambiance tendue, comme l’écriture de Thierry Marignac. Le style colle au propos de ce polar paru en 1988 et enfin réédité aujourd’hui. Bien sûr, ce sont les années quatre-vingt, les années black-blanc-beur de Touche pas à mon pote. Mais également celles d’Assas, du GUD qui veut encore dire quelque chose. Ça cogne fort à l’époque. L’auteur d’y placer son héros. Anti-héros bien évidemment. Nous ne sommes jamais dans le binaire gentil-méchant avec l’auteur de Renegade Boxing Club. Bien au contraire. Le personnage est à l’image de l’écrivain, complexe comme son parcours oscillant entre l’écriture, la boxe et la traduction de poètes russes !
Ici, dans ce premier roman, Rémi Fontevrault, fils de, paumé ou inadapté au monde de papa, à ses compromissions. Ce monde des adultes qui se prennent au sérieux. Etroitesse de l’horizon, vie insipide. Rémi a vingt ans et se sent dans la peau d’un Rastignac prêt à conquérir Paris à coups de manche de pioche et le cœur de la belle Irène, un regard lourd dans un corps gracile. Ivresse, violence et volupté pour un coquetel explosif. A coup de phrases définitives, nous pénétrons dans des univers à la fois repoussant et attirant : la politique, la propagande et ses manœuvres internes, ses arrière-cours, ses colleurs d’affiche et autres hommes de main et félons en devenir. L’activisme radical également, lors d’une plongée à Belfast où l’action armée n’est pas un vain mot et la mort omniprésente. Mais ne dit-on pas qu’on ne revient que de loin ? Les idées, les rencontres entraînent des choix. Ainsi les vies se font et se défont. Rémi, par honneur et fidélité, s’enfonce dans la nuit. En homme pressé de brûler ses vingt ans, quitte à y brûler ses ailes. Ne pas se poser de questions et agir : « Je ne désire pas de gloire. Je veux entendre battre mon sang. C’est tout. »
Roman en prise avec l’histoire immédiate, il n’est pas sans faire écho à l’actualité parricide d’un Front national en quête de respectabilité. Un romancier ne se doit-il pas de se confronter à son époque ? Encore faut-il le talent pour le faire. Et Thierry Marignac le possède, tant et si bien que cela fonctionne, que les années quatre-vingt, qui ne nous sont pas si éloignées que cela, nous explosent à la figure : style, action, esthétique. Fin et cruel à la fois et, surtout, un désarroi en quête d’exaltation.
Thierry Marignac, Fascistes, chez ActuSF, collection Hélios Noir, 2015, 9 euros.
Patrick Wagner – Présent