Après des ouvrages souvent dédiés à la question migratoire et à son expérience sarkoziste : Au cœur du volcan, Maxime Tandonnet nous offre un livre passionnant sur André Tardieu président du Conseil qui fut l’un des rares hommes politiques de la IIIe République de l’entre-deux guerres qui mérite notre considération rétrospective.
Issu de la bonne et aisée bourgeoisie parisienne, diplomate, haut fonctionnaire, journaliste, combattant de la grande guerre à 40 ans, il fut professeur à Harvard au début du XXe siècle. Élu député en 1914, il fut un ministre actif et efficace et un véritable homme d’Etat aux ambitions réformatrices : plan de grands travaux et de perfectionnement de l’outillage nationale, Loi sur les assurances sociales. .
Flamboyant, sur de son intelligence, d’une très grande culture, aimant la vie et la bonne chère, ce personnage « au long fume-cigarette d’ambre à la lippe débordant de morgue » se vit conférer par Léon Daudet puis Aristide Briand le surnom de Mirobolant qui lui resta et qui constitua l’une des raisons de la détestation qu’il inspira.
Profondément écœuré par la vie politique de la IIIe République et de la déchéance de la France qu’elle entraîna, il se retira sur son Aventin de Menton où sa lucidité fit de lui un grand visionnaire de la chute de la France et de ce que seront plus tard les institutions de la Ve République.
Des responsabilités de très haut niveau pendant la guerre
Pendant la Première Guerre mondiale, il fut nommé Commissaire général aux Affaires de guerre franco-américaines et devint l’interface principale entre les deux pays dans le domaine militaro-industriel.
En 1919, il fut le bras droit de Clemenceau pendant la conférence de la paix de Paris et participa aux négociations qui aboutirent à la signature du traité de Versailles.
Un ministre actif et en pleine ascension
En juillet 1926, Tardieu devient ministre des travaux publics au sein du ministère Poincaré de salut public qui prend la relève du lamentable ministère Herriot en plein échec.
Ce portefeuille à dominante technicienne comble son énergie. Il va se lancer dans la rénovation du réseau routier et avec l’aide de Raoul Dautry, talent qu’il découvre, pose les fondements d’une réorganisation des chemins de fer français. D’emblée, Tardieu veut moderniser les infrastructures de la France et combler les retards d’équipement que la République radicale a accumulés.
Tardieu est un homme de dialogue social. Grâce aux négociations qu’il lance en 1927, il parvient à éviter une grave crise dans les houillères et une grève générale comme en ont connu les Britanniques en 1926. Bien entendu, ce succès ne fut pas du goût des communistes qui l’attaquèrent à la Chambre.
C’est en même temps un homme de fermeté.
A la fin de 1928 les quatre ministres radicaux, dont Herriot, démissionnent du gouvernement d’union nationale de Poincaré à la suite d’une décision du parti radical. Comme le souligne M.Tandonnet, ils donnent « une parfaite illustration de l’arbitraire des états-majors politiciens qui font peu de cas de la volonté populaire ».
Tardieu devient alors Ministre de l’intérieur et va se faire deux blocs d’ennemis redoutables.
Le premier est celui des communistes. Par son action résolue ainsi que celle du préfet de police Jean Chiappe il préserve l’ordre public menacé par ceux-ci le 1er mai 1929 et s’en prend aux dirigeants communistes, les accusant d’irresponsabilité et de lâcheté. Tardieu n’eut pas souffert que 1500 émeutiers professionnels et en partie étrangers fassent peser, semaine après semaine, une menace insurrectionnelle sur la société française
L’hostilité envers Tardieu la plus redoutable est celle des radicaux qui considèrent l’Intérieur comme leur monopole depuis 30 ans, eux-mêmes relayés par le Grand Orient de France qui reproche au Mirobolant son refus de donner aux loges maçonniques des signes d’allégeance. Signes que tout gouvernant d’aujourd’hui doit donner aux mêmes loges, au CRIF et à une ribambelle d’organisations communautaires.
Un grand président du Conseil qui ancre sa politique de progrès économique et social dans l’action
En novembre 1929, le Mirobolant devient Président du Conseil. Il le sera trois fois. Les objectifs de sa politique relèvent d’une grande ambition pour la France.
Alors que la grande crise économique de 1929 a éclaté, Tardieu, pour éviter la récession, souhaite utiliser les « gigantesques excédents » accumulés par Poincaré – oui, oui, des excédents, vous ne rêvez pas—pour moderniser la France qui en avait bien besoin. Notamment les équipements et les outillages industriels connaissaient un retard considérable sur l’Allemagne par manque d’investissements.
Cette politique de grands travaux qui comprenait un effort important en faveur de la ligne Maginot,était influencée par la théorie keynésienne et anticipait le New Deal de plusieurs années. L’outil financier révolutionnaire de ce projet est l’instauration d’un compte spécial qu’il sera possible d’utiliser pendant 5 ans. La modernisation du pays visait également l’agriculture et l’enseignement. Le Mirobolant se révélait être ainsi un véritable économiste.
Économiste certes, mais ayant la fibre humaine et sociale, Tardieu va mettre en œuvre son projet d’assurances sociales avec l’aide de Pierre Laval. En avril 1930, une loi est votée qui permet l’affiliation obligatoire des salariés, définit le champ d’application couvrant la maladie, les accidents du travail et la retraite. Le financement est assuré à parité par les salariés et les employeurs.
Face au retard social accablant que connait la IIIe République dominée par les radicaux, souvent des petits bourgeois de province dénués de toute générosité et ignorants des questions sociales, le grand bourgeois Tardieu « vient de créer la Sécurité Sociale et de fonder le modèle social français ». A rebours des idées reçues, il faudrait mettre en exergue le poids du catholicisme social et de gouvernements de droite dans les avancées sociales de la France.
L’échec et la chute
André Tardieu tombe sur l’un des nombreux scandales qui ont émaillé la vie politique de cette République parlementaire corrompue : l’affaire Oustric.
En réalité il est chassé par le bloc de haine, le mot n’est pas trop fort, que sa personnalité et son action audacieuse ont suscité au sein de la gauche.
Les radicaux et, derrière eux, les loges maçonniques lui en veulent d’avoir occupé leur domaine : l’Intérieur c’est-à-dire les cultes. A plusieurs reprises, le Mirobolant a demandé au chef du parti radical sans qui peu de choses étaient possibles : Edouard Herriot, de participer à ses cabinets ministériels. La plupart du temps il s’est heurté à un refus. Au fond, pour les radicaux seules comptaient la laïcité et la lutte contre le catholicisme. On ne dira jamais assez le mal que cet homme et ce parti ont infligé à notre pays dans un contexte international aussi fertile en périls.
Les socialistes n’imaginaient des réformes que dans le cadre du marxisme. C’est ainsi que Léon Blum a combattu la politique de grands travaux et de l’outillage national en accusant Tardieu de gesticulation et d’illusionnisme.
Léon Blum était incapable de comprendre la portée d’une politique aussi ambitieuse. Léon Blum qui s’est si souvent et lourdement trompé, c’était Rantanplan.
Quant aux communistes…
Tout compte fait, radicaux et socialistes voient en Tardieu comme d’ailleurs en tout homme de droite, un usurpateur de leur pouvoir qui porte atteinte à leur toute-puissance. En ce sens Tardieu n’était pas un incompris. La République de gauche avait, elle, bien compris le danger de dépossession du pouvoir qu’il représentait.
Notons que les rares politiques qui avaient une envergure entre les deux guerres étaient des hommes de droite : Poincaré, Tardieu, Barthou et Paul Raynaud. Les autres étaient de très médiocres démagogues de gauche et du centre.
La chute de Tardieu enterre définitivement le plan de modernisation de l’économie française au cœur de son projet. Celle-ci, 10 ans après répondra difficilement aux besoins du réarmement.
Après les élections de 1932 c’est le retour du cartel des gauches de funeste mémoire et Herriot redevient Président du Conseil….
Le lanceur d’alertes
Pendant deux ans, Tardieu va se faire éditorialiste dans L’Illustration et Gringoire, hebdomadaires au succès phénoménal – 500 000 exemplaires – qui n’avaient jamais cessé de stigmatiser les renoncements et les erreurs des gouvernements de la IIIe République.
Tardieu y fustige l’accomplissement de ses plus sinistres prédictions, comme la diminution des crédits militaires et l’aveuglement de Blum qui veut opposer la « conscience universelle »au déchaînement hitlérien que le Mirobolant dénonce véhémentement avec des mots prophétiques.
Enfin, il mène campagne pour la réforme de l’Etat et des institutions d’une IIIe République devenue ingouvernable. A ce titre, il fait partie, après le 6 février 1934, du cabinet d’union nationale de Gaston Doumergue comme ministre d’Etat chargé de la réforme de l’Etat.
La campagne acharnée d’opposition de Blum au plan Tardieu-Doumergue amène les radicaux avec Herriot en tête à quitter le gouvernement. C’est l’échec complet de la dernière occasion de réformer le système avant le désastre final. Merci Léon et Edouard.
Le visionnaire
Retiré à Menton, Tardieu, avant sa congestion cérébrale de juillet 1939, devient essayiste et chroniqueur politique.
Dans un livre La Profession parlementaire, il accable la médiocrité de du personnel parlementaire et le dévoiement de la démocratie française. Il plaide également pour le vote des femmes, refusé obstinément par la gauche radicale.
Mais c’est sur trois grands thèmes que Tardieu insiste.
Tout d’abord la menace hitlérienne qu’il dénonce vigoureusement.
Ensuite, dans Le Souverain captif, il dénonce l’hypocrisie d’un régime qui invoque les grands principes républicains mais ne cesse de les violer. Il insiste sur « la corruption du principe de souveraineté populaire, fustigeant la confiscation du pouvoir politique par une infime minorité qui opprime la majorité. Il fait le procès d’une caste dirigeante, issue du système parlementaire, se reproduisant par cooptation clanique ou familiale, obnubilée par ses propres intérêts et indifférente au sort de la nation ». Ce procès n’est-il-pas aussi largement celui de la caste dirigeante d’aujourd’hui ?
Enfin, concernant les institutions de la République, il formule dans La Réforme de l’Etat des propositions révolutionnaires car de bon sens et fidèles à l’intérêt général : faciliter la dissolution de la Chambre par le Parlement, éviter ainsi que les députés soient dissuadés de sanctionner le président du Conseil à la légère, introduire dans la Constitution la possibilité du recours au référendum populaire et associer le peuple à l’exercice du pouvoir politique par la démocratie directe, interdire les amendements parlementaires engendrant une perte de recette ou une dépense supplémentaire.
Bien entendu dédaignées par les cloportes de la IIIe république qui reprirent le pouvoir en 1946, ces propositions ont fortement influencé, 25 ans plus tard le général de Gaulle qui avait lu La Réforme de l’Etat et M. Debré pour bâtir la Ve République.
Comme l’a dit Louise Weiss : « C’était par cette sincérité et cette hauteur de vue prémonitoire qu’André Tardieu se révéla grand. »
En conclusion, deux observations.
A aucun moment Tardieu, contrairement à ce que prétendaient ses adversaires du l’espèce de Blum, ne songea au pouvoir personnel. Il était viscéralement attaché au suffrage universel, aux libertés et aux principes fondamentaux de la République. Jamais il n’a remis en cause l’organisation institutionnelle française autour d’un Parlement issu de la nation. Il avait horreur des dictatures et du pouvoir personnel. Pour lui « nos traditions nous rattachent à l’humanisme, à l’antiquité, à la dignité de la personne humaine ».
A ses yeux, l’homme d’Etat est le serviteur de la nation, à sa disposition le temps nécessaire et dans le respect de la légalité. L’autorité ne se conçoit pas en dehors d’un contrôle démocratique. Elle ne se justifie que par le service de l’intérêt général. « En cela les idéologies d’extrême gauche comme d’extrême droite lui sont étrangères ».
C’est précisément ce que pense la plus grande partie de ce qui est qualifiée de fachosphère.
Après avoir rappelé ces convictions fondamentales Maxime Tandonnet ne peut que constater avec tristesse qu’aujourd’hui notre pratique institutionnelle s’en est terriblement éloignée.
La Ve République gaullienne inspirée par Tardieu s’est trouvée dévoyée, notamment par l’adoption du quinquennat. Les défauts de la IIIe République que fustigeait le Mirobolant ont revu le jour : carriérisme, démagogie, obsession de la réélection, corruption et scandales, impuissance de l’Etat, violence, pauvreté, abaissement de l’autorité de l’Etat
Et surtout, nous affrontons la confiscation du pouvoir et de la souveraineté par une classe dirigeante minoritaire, de plus en plus infiltrée par des communautés allogènes, au détriment de la majorité qui est de moins en moins silencieuse.
André Posokhow – Polémia