Francis Bergeron publie, aux éditions Dualpha, un petit livre d’entretien avec l’écrivain Geneviève Dormann, disparue le 13 février 2015. Dans ce livre, préfacé par le libraire Marc Vidal (librairie Les Oies sauvages), Geneviève Dormann se raconte, sans censure ni circonlocutions. Drôlerie, rosseries et talent sont au rendez-vous.
— Comment est-il techniquement possible de réaliser et de publier un tel entretien, aussi peu de temps après que Geneviève Dormann nous ait quittés ?
— Lors de la disparition de Geneviève Dormann, j’ai écrit dans Présent sa « nécro », comme on dit en termes journalistiques. Et j’ai raconté à cette occasion que j’avais réalisé, il y a une quinzaine d’années, un long entretien avec elle, enregistré sur plusieurs jours. A la relecture de nos conversations, Geneviève n’avait pas souhaité que cela fût publié de son vivant. C’est que notre Geneviève avait parfois la dent dure et son franc-parler. Marc Vidal, dans sa préface, écrit d’ailleurs très justement : « Quand on n’a pas besoin de prendre des précautions pour dire des horreurs, c’est qu’on est en bonne compagnie. » Geneviève Dormann en disait beaucoup, des horreurs ; elle ne supportait pas le politiquement correct et pratiquait à haute dose la formule assassine. Ce qui lui avait valu d’être surnommée Dobermann par le critique Pierre Assouline. Mais quel talent ! Quel non-conformisme ! Elle a marqué tous ceux qui l’ont côtoyée.
A peine mon article avait-il paru que des éditeurs m’ont proposé de publier cet entretien. Je l’ai remis en forme et réactualisé. A sa relecture, j’ai retrouvé toute la fougue, tout l’esprit de cette femme remarquable, fanfaronne, impertinente, mais aussi tellement fleur bleue, par certains côtés. Même si du temps s’était écoulé, il m’a semblé que ses propos n’avaient perdu ni intérêt ni même actualité.
— Son environnement familial était très politisé, je crois.
— Son père était député d’Etampes. C’était un ancien combattant de la guerre de 14-18, « amputé, député », comme elle disait drôlement : « La guerre avait énormément marqué Papa, comme tous les gens de sa génération. Il en reconstituait certains épisodes sur un coin de table. J’ai le souvenir que cela m’agaçait. Mais j’ai compris ensuite ce que cela pouvait être. Et c’est pourquoi j’ai écrit Le Chemin des dames. »
A la Libération, son père a eu des ennuis car il avait soutenu le maréchal Pétain (bien qu’il n’ait pas voté pour que les pleins pouvoirs lui soient attribués, estimant qu’il était trop âgé pour diriger le pays, dans le contexte difficile de l’occupation allemande). Lorsque des épurateurs se sont présentés à son domicile, il s’est mis à hurler : « Si je n’avais pas laissé ma jambe à Verdun, je vous la foutrais dans le c… ! »
Très jeune, Geneviève épouse le fils du maire d’Etampes, Philippe Lejeune, qui deviendra un peintre très réputé (élève de Maurice Denis). Philippe Lejeune n’est autre que le frère du célèbre professeur Jérôme Lejeune.
— On présente volontiers Geneviève Dormann comme une petite sœur des hussards. Comment a-t-elle intégré cette bande de « pseudo-intellectuels », pour parler comme un ministre inculte de l’actuel gouvernement ?
Née en 1933, Geneviève Dormann a grosso modo dix ans de moins que les fameux hussards, les Nimier, Déon, Blondin et Laurent, qui sont des hommes des années vingt. Mais il est vrai que son impertinence, sa désinvolture et son non-conformisme politique la rattachent à cette école, qui n’a jamais vraiment existé, dit-on, mais qui a néanmoins enchanté et libéré le monde intellectuel à l’époque de la domination sartrienne et communiste sur les lettres françaises. A la fin des années cinquante, elle fait la connaissance de Roger Nimier, à l’occasion de la parution de son livre, La Fanfaronne qui, sans être une autobiographie, n’en est pas moins écrit à la première personne, et dans lequel elle se révèle.
Dans un premier temps, elle est plutôt déçue par Nimier : elle avait lu tous ses livres, et l’imaginait très beau. En fait, il avait pris un peu de poids par rapport aux photos publiées dans la presse, mais il était très drôle et très percutant. Et, bientôt, ils vont devenir inséparables. C’est Nimier qui l’introduit chez les « hussards », et elle va l’accompagner dans les frasques et les farces de cette bande de talentueux dilettantes (pas tant que cela, d’ailleurs !).
Pour Geneviève Dormann, la consécration, ce fut le séjour chez les Haedens. Etre invité chez le critique littéraire Kléber Haedens, qui vivait, avec sa femme Caroline, dans le sud-ouest, près de Toulouse, c’était un privilège rare. C’est Haedens qui lui a transmis sa passion pour des écrivains comme Léon Daudet et Henri Béraud.
La mort de Nimier, dans cet accident de voiture du 28 septembre 1962, fut pour elle, comme pour la maison Gallimard ou pour son ami Antoine Blondin, un véritable tremblement de terre. Beaucoup ne s’en remirent jamais, alors même que Nimier n’était pas l’intellectuel de droite le plus connu ni le plus lu. Mais il avait chamboulé le paysage culturel français dans des proportions qu’il est difficile d’imaginer aujourd’hui.
Ensuite, on retrouvera Geneviève Dormann du côté de Candide, de Marie-France, du Figaro littéraire, et plus tard, aux Dossiers de l’écran, aux Grosses têtes de Philippe Bouvard…
— Que reste-t-il de son œuvre ? Ses romans eurent un énorme succès lors de leur parution (Le Bal du dodo, La Petite Main, Le Roman de Sophie Trebuchet etc.). Mais, aujourd’hui, ils ne sont plus réédités.
C’est le sort de beaucoup d’écrivains de s’effacer un jour, et parfois de n’être plus jamais réédités, plus jamais lu. Mais il arrive qu’après une période de purgatoire, l’œuvre retrouve une juste place. Les romans de Geneviève Dormann sont bien meilleurs que ceux d’une Madeleine Chapsal, par exemple. Et puis il y a eu Le Roman de Sophie Trebuchet, ce fut sans doute son plus gros succès, repris dans des collections club et en poche, vendu à des centaines de milliers d’exemplaires. Il s’agit de la vie romancée de la mère de Victor Hugo, un petit chef-d’œuvre littéraire et d’érudition. Il y a aussi Amoureuse Colette, une biographie de commande. Mais comme l’écrit Marie-Claire Pauwels, « il y a tant d’affinités entre elles que leurs styles parfois se confondent et c’est comme une biographie à quatre mains ». Ces livres-là resteront, et je suis bien certain qu’il se trouvera des éditeurs pour les republier régulièrement.
Geneviève Dormann, la petite sœur des hussards, par Francis Bergeron. Ed. Dualpha, 188 p., 25 euros.
Lu dans Présent